Par Olivier Le Cour Grandmaison, enseignant en sciences politiques à l’université d’Évry-Val-d’Essonne (*).
Pourquoi Sarkozy veut-il réhabiliter le passé colonial de la France ?
Les déclarations de Ségolène Royal à Dakar relatives au discours prononcé le 26 juillet 2007 par le président de la République à l’université Cheikh-Anta-Diop, puis les excuses qu’elle a adressées au premier ministre espagnol ont suscité l’ire de la droite et de nombreux chiens de garde de l’UMP. En ces temps difficiles et à la veille des élections européennes, quelle aubaine que de pouvoir faire croire qu’en défendant vaillamment le chef de l’État ils sont les garants de l’honneur national face aux propos « indignes et scandaleux » de la dirigeante socialiste accusée « d’humilier notre pays » selon Jean-François Copé. Au nom de quels principes démocratiques la parole présidentielle devrait-elle échapper à la critique dès lors qu’elle est tenue hors des frontières nationales et qu’elle concerne les relations avec certains États d’Afrique ? Mystère. Quelle aubaine pour le PS aussi. Il peut enfin parler d’une voix, presque une, pour soutenir une sorte de Mère Courage soucieuse de défendre la vérité historique, la dignité des colonisés hier et de celle des Africains aujourd’hui. Mieux vaut tard que jamais, certes, mais la tardivité même de cette réaction ne fait que souligner davantage la longue aphasie politique de l’opposition parlementaire sur ces questions ; alors même que de nombreux universitaires et historiens africains et français, réunis à l’initiative de l’écrivaine et chercheuse malienne Mme Adame Ba Konaré, ont consacré un volume entier – Petit précis de remise à niveau sur l’histoire africaine à l’usage du président Sarkozy (1) – au désormais sinistrement célèbre discours de Dakar. Célèbre, il l’est en effet là-bas beaucoup plus qu’ici où, contre toute attente, il n’a suscité nul tollé lorsqu’il fut prononcé. Le silence de l’écrasante majorité des responsables de gauche et celui de trop nombreux des intellectuels, comme on dit, furent assourdissants alors. Rappelons donc les propos de Nicolas Sarkozy. « Le drame de l’Afrique, déclarait-il c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire. » Et pour illustrer cette proposition par un exemple prétendument précis, il ajoutait : « Le paysan africain, qui, depuis des millénaires, vit avec les saisons, dont l’idéal de vie est d’être en harmonie avec la nature, ne connaît que l’éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles. » Il concluait par cette affirmation péremptoire et inepte : « Le problème de l’Afrique (…), il est là. » Stupéfiante écholalie qui réhabilite les poncifs les plus éculés du discours impérial-républicain de la fin du XIXe siècle lorsque Jules Ferry et beaucoup d’autres vantaient l’Empire français et les bienfaits de la colonisation ; ce vecteur de la civilisation des Noirs comme on l’affirmait au sommet de l’État et comme on l’enseignait dans les écoles et les lycées alors. Propos racistes aussi qui reposent sur une rhétorique classique et double : forger d’abord le mythe de l’existence d’un « homme africain » supposé rendre compte de l’essence de tous les habitants de ce continent pour imputer ensuite au premier des caractéristiques négatives conçues comme les causes de l’état passé et présent de l’Afrique ; cette terre réputée presque sans histoire ni avenir car rétive aux avancées de la raison, des sciences et des techniques. Vieille antienne et vraie réaction politique qui reconduisent une conception hiérarchisée du genre humain puisque certains peuples semblent piétiner dans leur arriération cependant que d’autres – les Européens notamment – incarnent la marche triomphante d’une civilisation supérieure. Voilà qui en dit long sur les différences qui gouvernent souterrainement les sensibilités distinctes de nombreux contemporains. Permanence remarquable de représentations héritées de la période coloniale, lesquelles continuent d’affecter conceptions et discours dans un contexte où le chef de l’État a réhabilité, comme jamais depuis la fin de la guerre d’Algérie en 1962, le passé impérial de la France. À preuve, cet autre discours, prononcé à Toulon le 7 février 2007, dans lequel Nicolas Sarkozy soutenait que le « rêve » de « Bonaparte en Égypte, de Napoléon III en Algérie, de Lyautey au Maroc » n’était pas « tant un rêve de conquête qu’un rêve de civilisation », de même pour « les républicains du temps de Jules Ferry ». Maladresses, comme l’affirme Bernard Kouchner soucieux de ménager celui qui l’a nommé ministre des Affaires étrangères ? Non, véritable politique bien faite pour aller « chercher les électeurs du Front national un par un » conformément aux objectifs poursuivis par le président de la République. Ainsi fut fait, ainsi est fait.
(*) Dernier ouvrage paru : la République impériale : politique et racisme d’État. Éditions Fayard, 2009.
(1) Éditions La Découverte, octobre 2008 (voir l’Humanité du 9 mai 2009).
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