mercredi 22 avril 2009

Au nom de quoi devrions nous sauver le capitalisme ?

Nos élites spécialisées en gesticulations « pragmatiques » n'ont de cesse de nous démontrer leur volonté indéfectible à sauver le modèle économique en place. A grand renfort de principes posés en son temps par Keynes dans les années trente, ils tentent de nous persuader que les thèses de Friedman, si chères aux libéraux de tous poils il y a encore quelques semaines, constituent aujourd'hui une passade historique et que ces déviances n'ont été qu'un épisode de cette « Histoire » ressuscitée. L'Histoire, Fukuyama l'avait enterrée au moment de la chute de l'empire soviétique et la voilà qui reprend du service. Miraculeux, vous ne trouvez pas ? Vous possédez du Milton Friedman, vendez ! On vous propose du Keynes? Jetez vous dessus comme la misère se jette sur le monde ! La fête va pouvoir continuer et ceux qui sauront endosser la bonne veste vont pouvoir continuer à fureter autour de la table de jeu.

Toute cette idéologie changeante fleure bon la navigation à vue et se voit pourtant instaurée au rang de science économique. Cette cuisine en apparence empreinte de savoir n'est en fait que l'implacable démonstration de l'incapacité chronique d'élites autoproclamées à gérer efficacement et d'une manière qui s'inscrive dans la pérennité, notre destin collectif.


Ainsi, la merveilleuse machine à bonheur, cet organisme fabuleux, résultat de la compréhension maîtrisée, rationalisée et synthétisée de la nature humaine par les chantres du capitalisme débridé et décomplexé, semble pourtant s'enrayer inexorablement. S'agit-il d'un avatar, d'une légère erreur d'appréciation (que d'ailleurs certains estiment pouvoir corriger) ou est-il ici question d'une démonstration implacable d'une faillite cuisante, d'un crash lamentable, dont nous ne sortirons pas indemnes. Inutile de répondre à votre place, vous connaissez la réponse, nous n'en doutons pas.

Ceci étant dit, en rester à ces constats nous inscrira dans cette dynamique victimaire où, ne nous y trompons pas, « les gros bras du prêt à penser économique et politique » comptent bien nous laisser mariner. Après cette immersion ramollissante où nous nous serons bien imprégnés des parfums de précarité et de craintes de tous ordres, ne leur restera plus qu'à nous saupoudrer de leurs solutions « clé en main », non sans avoir pris soin de nous rouler préalablement dans la farine, juste avant de nous passer au four, thermostat « chaud et vif ». Après cuisson, bien tendres et cuits nous serons et une fois de plus, sans doute nous révélerons nous plus disponibles pour accorder à ces maîtres-queue le droit à continuer d'officier en cuisine. Ainsi pourront-ils envisager de se refaire et continuer à « nous faire rêver ». Après ce traitement de choc, nous serons bien mûrs et nous finirons par nous rallier à l'idée « que cela finira par repartir ». Dans quelques temps, nous pourrons peut-être recommencer à acheter des bagnoles, remplir plus grassement nos chariots au supermarché et contracter à nouveau des crédits. Dans quelque mois (ou années ?) cette crise ne sera plus qu'un mauvais souvenir et les festivités pourront perdurer. Bien travaillés en cuisine, nous accepterons de continuer à déléguer notre capacité d'action, notre espérance suprême se bornant à un hypothétique accroissement du contingent des miettes (pour les plus favorisés d'entre nous) qui nous seront magnanimement octroyées.


A l'instar de Paul Ariès, plusieurs d'entre nous fustigent la marchandise et sa vénalité. Ils démolissent cette matérialité vulgaire qui nous submerge et à laquelle le capital a attelé notre devenir. Ils explorent les méandres de l'idéologie manufacturière qui tend à nous asservir et à nous enfermer dans un système « productiviste », basé essentiellement sur la valeur du poids (et non son adéquation à la satisfaction de nos réels besoins) de la camelote vomie par ces usines où nous nous rendons chaque matin. Le capitalisme, régenté d'une main de fer par une minorité, s'est autorisé à mettre en place une échelle de reconnaissance sociale basée sur notre capacité individuelle (le collectif, c'est caca !) « reconnue » à assurer la production de biens ou services, suivant des critères que cette même minorité a pris soin de mettre sur pied et dont elle est l'unique censeur. Et c'est de continuer ainsi qui nous est proposé par l'ensemble de la classe politique, balayant le spectre idéologique allant des ultra-libéraux aux sociaux-démocrates et autres sociaux-libéraux. Qu'est ce qui pourrait nous appartenir dans ce tableau ? De quoi pourrions-nous nous sentir propriétaires sur cette toile grise et terne ? Le capitalisme n'est pas nôtre. Les contours qu'il définit sont ceux de l'assurance du « profit à tous les coups » et ce, pour un contingent de bénéficiaires soigneusement trié sur le volet. Il détient les règles du jeu et ne se cache pas de pouvoir reconnaître et valoriser les siens. Il disqualifie les inaptes, les rebelles à ses règles iniques. Il bénéficie de l'amplification de sa pensée et de la diffusion de ses préceptes fondateurs et fédérateurs au travers des médias dont il se fait fort d'être le propriétaire.

Contrairement à ce qu'affirme une grande majorité des dirigeants mondiaux, rien de cette machine infernale n'est à sauver. Les grands de ce monde tentent de nous laisser à penser qu'après cette déconfiture générale, prompt à tirer les leçons du passé, le rentier, l'actionnaire deviendra raisonnable. Ainsi, les goinfres d'hier se transformeraient-ils en pseudo-ascètes partageurs et redistributeurs, les croupiers des casinos boursiers accepteraient un « autre partage » des richesses. Quelle intervention céleste autoriserait de telles conversions ? Cela relève au mieux de l'illusion, plus vraisemblablement de la mauvaise foi. Derrière ce discours à tiroir se cache un sous entendu à peine voilé. « Refuser de sauver le capitalisme, ignorer les propositions de toilettage qui vous sont proposées, ce serait vous tirer une balle dans le pied et prendre un risque inconsidéré et ce, principalement pour vous. » Voilà qui est plus clair.


Assener à notre lecteur des chiffres dressant l'inventaire des faveurs « étatiques » financières accordées aux multiples « nécessiteux » de l'industrie et des banques risque présentement de l'accabler et de le priver de ses capacités de réflexion. Nous allons plutôt procéder par petites touches. Prenons, dans un premier temps, l'exemple des quelques six milliards de prêts accordés à Renault et PSA, afin qu'ils puissent « enfin » fabriquer des voitures propres et dont l'empreinte écologique soit la plus faible possible. Le premier postulat libéral mis à mal par cette opération de « sauvetage financier » est celui qui, il y a encore quelques mois, consistait à affirmer sans rire « que seul le marché et les lois qui le gouvernent sont en mesure de mettre à la disposition de tous des produits adaptés aux enjeux de demain ». Le résultat est loin d'être probant, à moins que le catalogue de ces fameux enjeux ait totalement changé en moins d'un semestre. De facto, les marchands de caisse à savon reconnaissent qu'ils auraient pu faire mieux, qu'ils ne l'ont pas fait et qu'en plus ils nous ont vendu des autos gourmandes, lourdes et goinfres écologiquement et que sans la crise, le gaspillage aurait pu continuer longtemps.. La belle main invisible du capitalisme ! Personnellement, je le trouve affublé de deux mains gauches et seulement réactif aux gifles que lui infligent les faits. Bref, le capitalisme est un fumiste parfait, un sale gamin qui aime à prendre ses contemporains pour des imbéciles !

Toujours dans le cadre de ce casse tête « économico-bagnolesque », une partie des trois milliards (chacun) accordés à nos « ferrailleurs » nationaux devrait être consacrée, par exemple, à l'élaboration de moteurs aux cylindrées réduites et au rendement amélioré, ce qui revient à dire qu'on fabriquerait des mécaniques consommant moins de matière première (aluminium, fonte et plastique) et brûleraient plus efficacement le carburant. On ne peut que conseiller aux ingénieurs de l'ex Régie et du lion sochalien d'aller fouiller dans les tiroirs, car le boulot est déjà fait. En effet, les deniers engloutis par les « pôles compétition » respectifs de nos nationaux marchands de tôle ne l'ont certainement pas été à fonds perdus. A moins qu'il ne s'agisse que d'une aubaine pour Ghosn et Streiff qui consiste à faire d'une pierre deux coups, de se faire rembourser en partie les coûts de leurs opérations promotionnelles respectives sur les circuits et de faire cracher l'Etat, sous des prétextes plus que fallacieux.

De surcroît, les bavardages élyséens ont bien pris soin d'éluder un chiffre alarmant à plus d'un titre. La production automobile européenne présente une capacité excédentaire de l'ordre de 20 %. Suite à l'obtention du prêt et des entretiens avec Sarkozy, on comprend pourquoi le PDG de PSA a eu tant de mal à confirmer devant les caméras qu'il s'était engagé à ne pas conduire de « plan social » sur 2009. Tous ceux qui ont vu Streiff dans la lucarne sont unanimes. On eut dit qu'il avait avalé un ballon de rugby et il a eu un mal de chien à finir sa phrase. Au passage, nous noterons que le fait de « remercier » des intérimaires n'est pas assimilé à une réduction d'effectifs au sens « propre » du terme. Par contre, le contingent des « professionnellement disponibles » ainsi généré, vient tout autant grossir les rangs des chômeurs. Le capitalisme aime la précarité et il l'utilise. Il ne crée rien par hasard.


Ne soyons pas chauvins, les aides accordées par Obama aux ex fleurons de la machine à gabegies qu'est l'industrie auto US relève de la même stratégie hypocrite. Pour les Etats-Unis, il est indéniable qu'un des trois géants (Chrysler, GM et Ford) risque de disparaître, voire deux ou qu'un pôle issu de la fusion du trio infernal (que certains nomment déjà USCars), verra le jour. Dans tous les cas, l'impact sur l'emploi risque d'être dévastateur. Rappelons que pour l'instant, le taux de chômage américain, contrairement au Down Jones, poursuit son ascension et se situe à 7,6% (17,6 Millions de demandeurs d'emploi dont seulement 11,5 sont indemnisés). In fine, la crise va assurément favoriser l'apparition de mastodontes issus de fusions industrielles, de dégraissages sauvages et dont la caractéristique principale est qu'ils constitueront le meilleur terreau qui soit pour la prochaine crise, leurs prédécesseurs plus chétifs ayant déjà obtenu un score honorable en la matière et sur le théâtre du séisme actuel.


Comme on le voit ici, si nous appliquons les médecines économiques savantes couchées sur les ordonnances, les peuples de l'ensemble de la planète vont aider (au travers des largesses étatiques qui nous endetteront sur plusieurs générations) leurs propres exploiteurs, qui profiteront de l'aubaine pour affiner leurs stratégies concentrationnaires du pouvoir économique, s'assurant ainsi une mainmise et un contrôle optimisé sur leurs bienfaiteurs. Nous, nous ne devons pas mordre la main qui nous nourrit, mais quant à ces fins stratèges ... ils ne se gêneront pas pour nous dévorer le bras.


Ce modèle de mutation de la manufacture d'engins motorisés est au demeurant parfaitement transposable et déclinable aux institutions bancaires où les grandes manœuvres sont en cours. Au passage, nous n'oublierons pas que malgré la ponction « Kerviel », la Société Générale a annoncé 2 Milliards de résultat net pour 2008. Voilà une affaire qui se présente sous les meilleurs auspices, sans compter le petit coup de main de l'Etat de l'ordre du milliard, histoire de « fluidifier les liquidités ». Pour les moins bons élèves comme la Banque Populaire et la Caisse d'Epargne, c'est la fusion qui est au programme. Au passage, Sarkozy met sur pied le second groupe bancaire français et place à sa tête ce cher François Perol, actuel secrétaire adjoint de l'Elysée. Il faut dire qu'on a assez reproché à « Mister bling-bling » de ne pas demander assez de comptes aux banques françaises. Il se devait de frapper un grand coup et trouver un job à un copain, par les temps qui courent, c'est faire preuve d'un civisme de fort bon aloi. Ceux qui y verraient une nouvelle illustration de la cooptation des élites et une énième preuve de cette détestable tradition républicaine, ne pourraient se révéler qu'être d'indécrottables « pisses - vinaigre ».


A l'aune de ces mirifiques perspectives, on peut décemment reprendre notre questionnement initial. Accepter de sauver le capitalisme, n'est il pas à terme la plus mauvaise solution, voire la pire? N'est ce pas hypothéquer de manière la plus certaine notre avenir ? La problématique de fond vient du fait même de l'insolvabilité du système. Le niveau de créances pourries accumulées par les banques est tel que la seule solution est de les blanchir par des fonds publics. « Privatisation des profits, mutualisation des pertes ». « Pourquoi pas?», diront certains. « Objection votre Honneur » répondront les plus prudents. Ils auront raison car le pire est certainement devant nous. Tout le monde a en tête l'implosion du système des « subprimes », à l'origine de la Bérézina actuelle. Cependant, le nombre des ménages, tous pays confondus, dont la solvabilité ira décroissante à mesure que la crise s'aggravera économiquement, ne fera qu'augmenter. Pour illustration prenons les dossiers d'obtention de crédits bancaires montés en France ces dernières années. Ils l'ont souvent été « sur le fil », proche du seuil des 30% des revenus du ménage (seuil « raisonnable » d'endettement ayant cours dans nos contrées) et en intégrant des primes de tous ordres (travail de nuit, prime d'atteinte d'objectifs ... Travailler de nuit pour l'un des deux conjoints permettait de « passer » sous les fourches Caudines... Nous allons vous laisser le soin de continuer le raisonnement. Nombre d'entre nous risquent de ne pas être mieux lotis que les ménages américains.


Le capital nous a endettés pour absorber son infâme « bric à brac », ses bagnoles, ses fours à micro-ondes, ses pavillons... Bref, l'engeance de son « bougisme » forcené. D'ailleurs, il nous a ouvert des lignes de crédit car les salaires qu'il nous versait n'étaient plus suffisants pour tout avaler. Non content de cela, c'est « un marché de renouvellement » musclé qu'il lui fallait. En effet, à quoi bon commercialiser des machines à laver qui durent, des ordinateurs indémodables, des fringues inusables et toujours « fringantes »? Alors il a inventé « l'obsolescence programmée », avec ses roulements à billes qui cassent dans la sixième année d'usage, juste après le terme de la garantie de cinq ans que monsieur Darty vous avait vendue. Il a généré le « bidule » irréparable, le « tout d'un bloc », le super ordinateur qui vous permettra de faire tourner le dernier logiciel à la mode et qui ne fait rien de très probant de plus que l'ancien. Le capital vous l'a dit, cette couillonnade informatique possède un avantage majeur et décisif : « elle est nouvelle et ça c'est l'argument qui tue ». Le capital a pris le soin de marquer sur ses télévisions « ready for HD » (prêt pour la haute définition), histoire de faire de vous un ringard si vous, vous n'étiez pas prêt financièrement. Le capital a usé des pires stratagèmes pour faire de nous des voraces, des envieux, des dépendants au « matos ». Avec nos faibles moyens, nous avons tenté de nous montrer à la hauteur de ses volontés. Comment en aurait-il pu être autrement, car toute idée de rébellion à cette soumission qui ne dit pas son nom, n'aurait pu être interprétée que comme une incivilité, une inadaptation impardonnable, un incivisme crasse et un égoïsme économiquement irresponsable. Que reste-t-il de ce cauchemar ? Allons-nous nous réveiller ? Quelle émancipation avons nous acquise durant tout ce temps, qu'en avons nous tiré de bon pour nous et les nôtres ?


Sortir du capitalisme semble constituer l'unique porte de sortie de crise viable pour l'humanité. Souvent nous nous posons la question de savoir ce que nous pourrions créer à la place. Cette question est elle la plus importante? Ne devons nous pas d'abord nous demander si cela peut continuer ainsi ? Douterions-nous si fort de nous au point d'avoir peur de déconstruire ce qui nous aliène ? Sommes-nous si désespérés pour en perdre la volonté d'abattre le tyran ? Craignons-nous de générer un hydre plus malfaisant que cette botte infâme qui nous écrase ? L'ensemble de la classe politique « institutionnelle et de pouvoir », au travers de ses stratagèmes, ses compromissions et autres discours alambiqués a certainement contribué à convaincre une partie d'entre nous de son incapacité à participer à l'avènement d'un projet politique populaire fondé sur l'auto-organisation et l'émancipation. Avant toute chose, il nous échoie de sortir de cette dynamique de soumission et de désespérance. La première étape de notre libération passe par notre capacité à envisager le refus du sauvetage du capitalisme. Serions-nous incapables d'aborder et organiser la re-localisation de l'économie et le contrôle des industries stratégiques, d'organiser des instances populaires qui décideraient enfin de ce qu'il est utile de produire pour tous et surtout de quelle manière et avec quels moyens, dans le strict respect de l'environnement ? Le remplissage de caddie, l'assouvissement de pulsions compulsives et acheteuses peuvent-elles de manière définitive, permettre de rendre tolérable la précarisation croissante de soi-même, de l'autre, ou de ses propres enfants ? Pour d'autres, « c'est précarité à tous les étages », spoliations des droits les plus élémentaires, mépris racial, inexistence économique. Ce schéma fonctionnel ne peut en rien être le fondement d'une quelconque société promise à la pérennité.


Le capitalisme ne sera jamais raisonnable, jamais sage, sinon ce miracle aurait dû se produire à maintes reprises. Le verdict est sans appel : ne lui accordons plus le bénéfice du doute. Pour la suite des événements, notre volonté sera notre carburant principal. Le premier pas est sans doute le plus important. De toutes les façons qui soient, continuer ainsi relève de l'utopie la plus néfaste et de l'illusion la plus aveugle.



Hervé COUPERNOT

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