samedi 18 avril 2009


« Le prisme du productivisme, générateur de nos contradictions et limiteur d'enjeux»


Peut-on légitimement ne pas se retrouver complètement dans les mots d'ordre des centrales syndicales, lors des mobilisations du 29 janvier et du 19 mars. Prenons le risque de répondre à ce questionnement par l'affirmative et tentons d'affronter la vindicte de notre respectable lecteur, stupéfait par tant de mauvaise foi ou d'ignorance.

Peu en reste en ce qui concerne la provocation, nous nous permettrons de poser la question en ces termes: « Du travail et de l'argent, certes, mais pour quoi faire ? » A cet instant précis, nous sentons poindre l'agacement chez certains d'entre vous, chez d'autres c'est la consternation ou l'incrédulité qui s'imposent. Nous allons pourtant poursuivre en nous risquant à poser une réflexion dans le cercle des débats, afin de nous faire mieux comprendre (ou peut être conspuer). « Tant que nous ne sortirons pas de certains mots d'ordre strictement incantatoires et relatifs à la préservation (ou la croissance) de notre pouvoir d'achat, nous serons les meilleurs accompagnateurs possibles du capitalisme ». Précisons par avance quelques points. Certains d'entre nous revendiquent un accroissement de leurs revenus, juste pour pouvoir régler plus aisément des factures d'eau, d'électricité, leur loyer ou l'échéance mensuelle visant à rembourser le crédit immobilier contracté pour l'achat de leur logement et bien entendu se nourrir. Pour d'autres, spoliés de leurs droits, précarisés et privés d'emploi, revendiquer l'obtention du « passeport pour la reconnaissance sociale» que constitue l'octroi d'un travail rémunéré, n'est que légitime. Il n'est pas dans notre projet de jeter l'opprobre sur tel ou tel, mais de contextualiser les choses.

PIB, croissance et manipulations...


Les luttes de nos dignes ancêtres portaient déjà sur ces points relatifs à l'accroissement de leurs revenus, afin de convertir « leurs conditions de survie » en « conditions d'existence dignes ». (Au passage, je noterai qu'outre la reconnaissance pécuniaire de leur activité au sein des entités économiques, l'acquisition de droits supplémentaires et l'obtention d'amélioration des conditions d'exercice du travail faisaient partie du contexte propre à la contestation salariale. Ces dix dernières années, l'ensemble du modèle législatif encadrant le travail a été maltraité par les législatures et gouvernements successifs, sans que cela ait débouché sur des conflits majeurs. De nos jours, serions nous plus attachés à notre capacité d'acquisition de biens matériels qu'à la défense de notre intégrité physique ou mentale pendant notre période de labeur ? ). Fort de cette expérience et afin de tempérer nos ardeurs, le capital a pris soin d'introduire de nouvelles règles du jeu, la précarisation constituant un de ces pondérateurs majeurs à la détermination populaire. Plus finement encore, afin de sécuriser son statut, le capitalisme se devait de fidéliser « les vendeurs de force de travail » que nous sommes et pour cela rien de tel que « le besoin » et surtout importait-il de lui donner un caractère « inassouvissable ». Dans cette tâche complexe, la notion de « croissance » et la mise en place d'indicateurs propres à donner à cette valeur une « position centrale » voire indépassable, allait se révéler être d'une impérieuse nécessité. Ainsi fut fait et ce schéma fonctionnel allait se montrer d'une redoutable efficacité. Certains, disqualifiés et laissés partiellement (mais astucieusement) visibles des rescapés, ces derniers ne pouvaient qu'aspirer à participer à la grande course en avant et chercher à se rassurer dans l'arène consumériste, tout en modérant leurs velléités contestataires. Travailler la semaine et fréquenter les centres commerciaux le samedi (voire le dimanche) allaient devenir les signes patents d'une certaine conformité sociale et les déterminants d'appartenance à « la tribu » des économiquement et socialement actifs et solvables.

Afin de persévérer dans cette voie, outre l'adhésion des masses, il convenait de baliser le chemin par des sémaphores fiables et lisibles de tous. La croissance du PIB fit parfaitement l'affaire. L'augmentation de la productivité, preuve de la bonne marche de l'économie et de l'adéquation du résultat du travail des « salariés » et des objectifs « de progression » fixés par leurs employeurs, ne pouvait que permettre de contrôler la situation. Ces indicateurs ont tellement été digérés par l'opinion publique, que le moindre fléchissement des courbes provoque une inquiétude chronique, même chez les plus modestes d'entre nous. Ces résultats, colportés par médias interposés et ainsi vulgarisés s'avèrent être de pertinents outils de manipulation de la multitude, au prétexte de l'informer de ce qui concerne la « bonne conduite » des opérations économiques. Naturellement, une bonne partie d'entre nous s'est solidarisée à l'idéologie productiviste, au motif légitime d'assurer sa propre subsistance et celle des siens.

« le développement durable », nouvel oxymore du capitalisme


Cependant, la croissance de nos besoins individuels conjuguée à celle de la population mondiale, l'aspiration des peuples qualifiés « d' émergents » à accéder à des standards de vie similaires aux nôtres ne vont pas sans poser quelques problèmes qui touchent notre milieu naturel de vie. Qui aujourd'hui peut nier les dégâts environnementaux liés à l'activité humaine ? L'abrasion de la biodiversité, la dégradation des écosystèmes primaires, la fonte des glaces polaires, la déforestation liée au développement de la monoculture et l'épuisement de ressources naturelles ne sont plus des phénomènes discutables. Le débat porte essentiellement sur les conséquences que ces dégradations auront sur l'humanité ou sur la méthodologie à utiliser pour réduire ou annuler leurs effets. Pourtant, une évidence nous crève les yeux. Amener la globalité de la population terrestre aux standards de vie occidentaux nous imposera de disposer des capacités de trois à dix planètes, suivant que l'on standardise le modèle américain ou français. Bref, personne ne le nie, le portage de nos modes de vie actuels est tout simplement mathématiquement et physiquement inenvisageable. De surcroît, ceux qui comptent sur la propension des grands décideurs de ce monde à donner les impulsions nécessaires à la réorientation des stratégies d'organisation globale de l'économie en seront pour leurs frais. Pour reprendre l'exemple de la fonte des glaces de l'Arctique, cette perspective laisse envisager l'accès à de nouveaux champs pétrolifères et/ou gaziers. Certaines sociétés de prospect sont déjà sur le coup et une agitation non négligeable se fait jour autour du cercle polaire. Il est certain que ces nouvelles ressources mises à jour, nous aurons tôt fait de jeter nos belles résolutions aux orties et la limitation drastique à l'ordre du jour en ce qui concerne l'appétit de nos automobiles, deviendra un vague souvenir. Nos dirigeants, bien trop alléchés par ces nouvelles perspectives de voir les indicateurs économiques reprendre des couleurs auront tôt fait d'enterrer les discours responsables et alarmistes d'antan Quant aux perturbations environnementales liées à la mise à l'atmosphère de végétations ou sédiments autrefois recouverts de glace et libérant des tonnes de gaz à effets de serre ou la modification des courants marins, conséquences de la dilution des eaux salines, ces phénomènes cruciaux sont certes connus des spécialistes et provoquent leur inquiétude, mais ne sont pas portés à la connaissance du public de manière pédagogique.

En ce qui concerne les élites, elle sont préoccupées par ce sujet, mais pas pour les mêmes raisons que le scientifique. Leur tâche première a été d'élaborer des concepts qui permettront de laisser penser à l'opinion que le capitalisme aura les capacités nécessaires pour affronter et minimiser l'impact de nos activités antérieures sur l'environnement et qu'il pourra continuer à régenter les affaires de ce monde en mutation. Il lui faut démontrer que le modèle dominant saura « une fois de plus » trouver la solution. C'est ainsi que les oxymores se sont mis à foisonner. Quotidiennement, que n'entend-on parler de « développement durable », cet anachronisme méritant à lui seul quelques commentaires. La crise actuelle nous démontre principalement une chose. Les puissances économiques réunies au sein du G20, au titre des « mesures drastiques » dont elles se gargarisent et destinées à « moraliser le capitalisme », ne font rien en ce qui concerne la « définanciarisation » de l'économie. Elles renflouent, blanchissent des actifs pourris et laissent fonctionner la machine économique suivant les mêmes modalités que celles qui avaient cours auparavant. Les actionnaires courent toujours, les investisseurs sont mis dans le coton et choyés, au plus quelques banquiers plus maladroits que les autres ont-ils fait les frais de la chasse aux boucs émissaires. Donc, on ne peut envisager le « peinturelurage en vert » de la nouvelle économie mondiale que comme un cache misère. Les acteurs et les usages régissant la conduite des opérations n'ayant pas changé, on voit mal comment les coutumes en vigueur 'avant' ne le seraient plus 'après'. Recherche de plus values juteuses, concentrations financières, fusions-acquisitions, bref tout ce que ne supporte pas l'éthique environnementale. L'incompatibilité de l'écologie et du capitalisme est très simple à comprendre sur un point et c'est suffisant pour disqualifier cette énième tentative de mariage de la carpe et du lapin. La réduction maximale (et non l'annulation) des nuisances liées à notre activité sur notre milieu de vie passe par une diversification maximale et sous entend que nous réussissions à sortir de tout concept de concentration. Ainsi, ce qui s'est passé pour le pétrole et l'ampleur de sa prégnance sur notre société ne doit pas se reproduire. En effet, en admettant que nos voitures soient toutes électriques dans vingt-cinq ans, nous serions confrontés très rapidement à des phénomènes d'épuisement des gisements de lithium. Il en irait de même pour le cadmium ou le nickel, dans le cas où cette technologie serait panachée à celle des batteries lithium, aujourd'hui reconnues comme les plus performantes. Donc, c'est la diversification et la fragmentation maximale des sources d'énergie qui limitera les dégâts. Le capitalisme étant plutôt très à l'aise dans le cadre de situations monopolistiques et d'abus d'hégémonie, le disqualifier paraît la décision la plus sage. En fait, une certitude doit nous assaillir: pour ne parler que de l'automobile, penser que la migration technologique pure et simple, sans réduction numéraire du parc, suffira à nous sortir d'affaire est une erreur. C'est la réduction de l'importance du phénomène automobile qui prime. Et ceci n'est envisageable que dans le cadre d'une dynamique globale de remise en cause du schéma de fonctionnement de la société. Il ne s'agit en rien de continuer à travailler par substitution d'une technologie à une autre, mais de substituer des modalités fonctionnelles de la société à d'autres.

Urgence Environnementale et Socialisme: pour sortir des discours schizophrènes


On le voit donc, ce qui nous attend n'est pas une mince affaire. L'obstacle le plus important est un changement radical de nos modes de pensée productivistes. En effet, changer nos concepts économiques passe par la remise à l'ordre du jour de nos motivations profondes en ce qui concerne nos luttes et nos aspirations de vie. Sommes nous uniquement là pour prétendre à une portion plus importante de soupe, même si elle est par trop réchauffée et finalement devenue immangeable ? La qualité de ce que nous vivons est-elle directement liée à notre capacité d'acquisition et ne sommes-nous pas le plus souvent soumis et conditionnés et ce, même dans nos espérances d'amélioration de notre condition, par les contraintes induites par notre statut de salarié et de « vendeurs de force de travail » ?

Évidemment, revendiquer plus de pouvoir d'achat est une urgence pour pas mal d'entre nous, notre situation financière étant devenue intenable. Mais en rester là pourrait s'avérer insuffisant, du fait même d'une précarisation encore plus grave que celle d'ordre économique à laquelle nous condamne directement le capitalisme. Il s'agit de ce que je nommerai la « précarité écologique ». Certains de nos frères sont déjà contraints à la migration, du fait même de la dégradation irréversible de leurs lieux de vie. D'après Norman Mayers, professeur à l'université d'Oxford, en 2010, 50 Millions de personnes seront concernées et 200 Millions en 2050. Il ne s'agit donc pas d'une préoccupation de bobo, mais d'une réalité révélée par de nombreuses publications scientifiques. Il serait illusoire de compter sur nos élites politiques classiques pour mener une réflexion pertinente dans ce domaine, empêtrées qu'elles sont dans des contradictions dignes de la schizophrénie la plus marquée. En effet, la crise pointe le bout de son nez. Qu'à cela ne tienne, on lancera des grands travaux tels que la construction de routes ! Des routes, mais pour quoi faire ? « Mais pour faire rouler toujours plus de camions et nous donner du travail », alors qu'il y a quelques mois, les mêmes nous disaient qu'il fallait transporter les marchandises autrement.

Le capital a réussi un tour de force majeur qui consiste à nous faire croire qu'un monde dégraissé de croissance et de productivisme est un phantasme. C'est pourtant la croissance infinie au sein d'un monde fini qui relève de la plus pure folie et de l'utopie. Quoi que nous en pensions, les circonstances actuelles constituent un tournant et une chance historique. Soit nous continuons à déléguer nos exigences, en les calquant sur des usages, des coutumes relatives à un quelconque « idéologiquement, conceptuellement et économiquement admissible » et de facto, nous octroyons aux systèmes hégémoniques, qu'ils soient patronaux, étatiques ou syndicaux, les capacités de formater les contours de nos aspirations d'amélioration de notre condition, à savoir plus de fric, plus de miettes, finalement le meilleur alibi qui soit pour le capital. Nous lui permettons ainsi de maintenir la continuité du modèle qui nous oppresse.

Soit nous nous inscrivons dans le dépassement de ces « infâmes croquis » et imaginons la définition et la création de micro-entités économiques, gérées de façon démocratique et populaire, qui répondent à la satisfaction de besoins collectifs et individuels, clairement identifiés et surtout adaptés aux contraintes locales et environnementales. C'est ce que certains appellent la re-localisation de l'économie. A nous d'assurer et administrer les interactions entre ces modules et donner une cohérence fonctionnelle à l'ensemble, grâce à l'action d'instances élues, contrôlées démocratiquement et révocables. N'est ce pas une autre ambition que cette délégation aveugle à laquelle nous semblons condamnés ? Quant à l'administration des domaines stratégiques tels que l'énergie, les communications, la santé, ils ne doivent relever que d'une entité décisionnelle affranchie de contraintes économiques, non inféodée à des critères de résultat strictement financiers et comptable. Elles (ils ?) se doivent comptables de résultats vis-à-vis du peuple et de lui seul. Mais surtout, le plus grand travail devra porter sur l'information populaire quant aux périls environnementaux qui nous menacent et nous touchent déjà. Pour exemple, concernant la politique énergétique, le « mythe du tout nucléaire » devra faire l'objet des commentaires les plus éclairés quant aux risques et surtout en ce qui concerne l'état réel du parc, la politique de traitement des déchets. Il doit en aller de même sur l'ensemble des technologies qui s'offrent à nous et qui font l'objet de toutes les convoitises de la part de « goinfres verdâtres » de tous poils. Il conviendra de sortir des logiques de catalogues et exposer clairement les avantages et inconvénients de chaque technique. A cette seule condition, nous pourrons prétendre avoir tenté de sortir du productivisme, car nous aurons cherché à nous affranchir du plus facile, du plus pratique et du plus rentable financièrement. Le progrès technique ne vaut que s’il ne nuit ni à l'homme, ni à son environnement.

Bref, l'avenir sera « socialiste » si l'on veut qu'il ait un minimum de chance d'être écologique et synonyme de préservation de notre environnement. N'en déplaise aux libéraux et capitalistes de tous poils, la planification « démocratique », sans être l'engeance d'une cogitation bureaucratique centralisée, constitue le meilleur rempart contre les dérives suicidaires du capital et du libéralisme. Il n'est pas question pour nous d'affirmer que nous connaissons l'intégralité des composantes de la solution, mais il importe que nous soyons persuadés que la résolution de cette équation complexe qui nous est posée ne passe plus par la délégation à des entités tiers qui nous ont trahis par leurs attitudes oppressives ou accompagnatrices de la débâcle sociale qui nous accable aujourd'hui. Soyons confiants dans nos capacités à balayer ces reliques, sans craindre de nous tromper. Ils sont incapables de faire mieux et nous l'ont prouvé en trop d'occasions. L'avenir est nôtre, même si leurs porte-voix hurlent le contraire !

Hervé COUPERNOT

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