dimanche 19 avril 2009

Eviter l’impasse sociale-keynésienne

La faillite des politiques libérales et sociales-libérales et l’intensité de la crise présente et à venir, offrent la possibilité de voir émerger une force politique en prise réelle avec les préoccupations, les aspirations de l’immense majorité des salariés, des précaires … pour construire avec eux une véritable alternative au système capitaliste. Mais, s’il existe un espace politique et social pour que se déploie une telle « force », bien des obstacles restent à surmonter. Ce sont, ici, quelques uns d’entre eux que l’on voudrait souligner et que l’on peut globalement caractériser de tentation néo-sociale-démocrate. Mais, avant d’examiner certaines positions qui, à « Gauche de la Gauche »1, correspondent, à mon sens, à cette tentative, encore faut-il préalablement, tracer quelques pistes qui en démontrent, en contre point, l’obsolescence au regard d’une politique réelle d’émancipation.


Pour un « mouvement » à l’image de la société que nous voulons construire

Si, pour reprendre une formule célèbre, « le libre développement, l’épanouissement de chacun est la condition du libre développement de tous », s’il s’agit de fonder une communauté d’égaux, tout doit être fait pour que chacun et tous puissent analyser, argumenter, décider, contrôler, réfuter, se forger un point de vue en connaissance de cause. Cette utopie réaliste par rapport au projet émancipateur suppose la diffusion d’une culture politique que chacun (et tous) puisse faire sienne, étant entendu que celle-ci, n’est pas un bloc déjà là, mais la résultante d’un travail critique et de formulations positives tenant compte des diverses sensibilités, appréhensions, à un moment donné, de la réalité du mouvement.

Dans les conditions qui sont les nôtres, celles de la prégnance de l’idéologie dominante, de la tentation de reconduction de formules, de recettes d’un passé suranné, notre seul recours c’est d’une part la démocratie, la réflexion argumentée, le contrôle des appareils, des électrons libres (Bové !), des personnalités et des experts auto proclamés.

Au sein de la mouvance hétérogène de la « Gauche de Gauche », tellement gauche actuellement par rapport aux urgences sociales et politiques, notre seul recours, notre seule « arme » pour lutter contre cette prégnance, c’est le débat aux enjeux circonscrits, conduisant à des prises de décisions vis-à-vis de ceux qui sont concernés par le projet émancipateur dont nous voulons, avec eux, être les porteurs. La démocratie où la voix de l’un vaut celle de l’autre ne saurait être confisquée ou détournée par des experts, des électrons libres plus ou moins médiatisés, ni par des appareils, des coteries faisant avaliser des décisions préalablement prises. Bref, ce ne saurait être une « démocratie » participative dans laquelle les dés sont pipés. En d’autres termes, le contrôle réel de toute délégation est requis, la réduction des écarts entre militants se doit d’être organisée. Ce processus, toujours à recommencer, suppose un fonctionnement démocratique, correspondant à la période que nous traversons (marquée par la fragilité et l’hétérogénéité des sensibilités, des itinéraires). C’est pourquoi, la construction d’un mouvement politique, social, culturel et démocratique me semble le plus approprié pour rassembler la « Gauche » anticapitaliste, antilibérale, radicalement écologique et antiraciste.

Mais, d’autre part, celle-ci ne peut avoir d’existence réelle que si elle trouve les moyens de s’enraciner profondément dans les classes populaires qui sont la source de sa légitimité et de sa vivacité. A terme, en son sein, doivent être présents, représentés, les ouvriers, les employés, les chômeurs, les sans papiers, les précaires, les populations « issues de l’immigration » et des DOM TOM. Dans le moment présent, ce mouvement est composé de différentes organisations politiques, syndicats et d’associations, comités, coordinations, que l’on ne peut exclure a priori de la dynamique à construire. Par ailleurs, et c’est là l’enjeu d’un véritable débat, nous sommes « condamnés » à faire confiance à l’intelligence du peuple et à soutenir pour les amplifier ses luttes et toutes ses tentatives de mobilisation et d’auto organisation.

Pour être plus concret, les combats du moment qui concernent « le peuple de la vraie gauche » sont ceux qu’il faut livrer maintenant parce qu’il est directement concerné. Il en est ainsi pour les services publics en voie de démantèlement-privatisation (la Poste, la loi Bachelot sur les hôpitaux) et de tous les combats visant à le protéger contre les effets délétères de la crise (salaires, protection sociale, racisme …). Dès lors, l’attente de prochaines élections et dans cette unique perspective, la constitution pour les européennes ou les présidentielles d’équipes électorales munies de programmes et contestant la force des partis dominants, apparaît bien dérisoire, ou plutôt en décalage flagrant avec le mouvement émancipateur à construire. Non, le « peuple de Gauche » n’est pas directement concerné par la constitution d’équipes électorales lui apparaissant comme marginales et réduisant son sort à leur éventuelle et lointaine réussite électorale. Cette vision qui s’accroche à un passé révolu et voudrait nous faire revivre le remake d’un programme commun d’une « nouvelle gauche » keynésienne empruntant le bonnet phrygien bien défraîchi des Trente Glorieuses oublie ce qui semble la faire renaître : 68 et 95 et après …


D’où provient ce nouvel espace politique ?

Sans qu’il soit nécessaire d’évoquer mai-juin 68 qui inaugure pour le moins la fin d’un cycle, celui précisément des Trente Glorieuses, qu’il suffise de dire ici que ce sont les politiques néo libérales et les réactions populaires qu’elles provoquent, qui suscitent l’ouverture d’un nouveau cours. Ce sont les grèves et les manifestations de 95, donc la lutte des classes, qui élargissent, approfondissent l’audience des critiques du capitalisme, favorisant des regroupements et ce, pour le moins, jusqu’au CPE du printemps 2006. Cette résistance durable aux politiques acquises au capitalisme financiarisé produit de nouveaux acteurs politiques, sans que ceux-ci soient à la hauteur des enjeux de société qu’elle révèle. Ainsi l’exigence d’une démocratie à la base se heurte à l’hétérogénéité, aux divisions des acteurs, à la sclérose des appareils. Ainsi la reconfiguration d’un syndicalisme de lutte autour des SUD, de la CGT, de la FSU, se heurte au partenariat avec la CES2 et à la prégnance des politiques libérales d’accompagnement. Ainsi en 2003 et 2006, la direction de la CGT, bien que tiraillée, parvient à contrôler le rythme du mouvement social, à endiguer les volontés militantes qui ne parviennent pas à s’imposer. Quant aux organisations d’extrême gauche, celles qui proviennent des dissidences, elles reproduisent de vieux schémas hérités du passé. Ce qui revient à dire d’une part que ce qui est premier, fondamental reste la lutte des classes et que, d’autre part, l’enjeu essentiel qui en résulte demeure la construction d’un espace militant élargi suffisamment puissant pour contrecarrer les manœuvres bureaucratiques visant à désamorcer les mouvements de masse. Il ne peut se constituer que s’il rompt radicalement avec le modèle de démocratie représentative et délégataire monopolisé par les organisations partisanes traditionnelles comme par toutes celles qui rêvent de les imiter ou de recourir à des notions sclérosées (l’avant-garde toujours en arrière …). Et dans la conjoncture actuelle de possibles éruptions populaires, il s’agit de combattre le gouvernement pour emporter dans les plus brefs délais, des victoires qui soient autant de reculs sarkozystes. La lutte contre le CPE, pour prendre le dernier exemple en date, a bien montré que c’était non seulement possible mais que toute attente de changement de majorité n’était pas, en l’occurrence, la solution. Autrement dit, il est vain de croire qu’en s’insérant dans ce régime dont il faut provoquer la crise, sinon la chute, l’on puisse faire admettre des réformes keynésiennes ou le bien fondé d’un travail de contre expertise qui, par sa rationalité, compterait, dans ce cadre de relations instituées. La marque d’un discours réformiste radical n’entrera jamais en résonance avec les manières de penser des experts de l’autre camp. Seul le rapport des forces peut les amener à reculer, à composer avant leur décomposition finale. Il n’y aura pas de grand soir électoral, comme de grand soir d’effondrement du système. Il y a par contre tout un travail de réflexion-action à susciter, organiser, soutenir, amplifier auquel l’on doit se préparer. La participation électorale ne se conçoit qu’à partir d’un réel enracinement populaire.

L’impasse sociale démocrate et la « gauche de gauche »

L’appel de Politis et de ceux qui l’ont suscité relève d’une toute autre logique. Les dissidents des partis traditionnels de la gauche, PC, PS, conçoivent l’alternative en dehors des mouvements sociaux. Ou plutôt, ils reproduisent les vieux schémas : aux politiciens la politique, aux organisations syndicales et associatives les problèmes sociaux. Sans que cela soit aussi caricatural dans leur esprit, il n’empêche que leur seule préoccupation soit de constituer une structure d’accueil munie de propositions programmatiques afin de discuter avec les prochains groupes dissidents de ces appareils. L’attentisme vis-à-vis des congrès du PS, du PC, des Verts, voire de la LCR/NPA en constitue la preuve. Pas de campagnes politiques à promouvoir, pas de lignes directrices pour organiser démocratiquement le mouvement (700 délégués étaient présents), pas de réelles discussions d’un texte non amendable (ou si peu et sous la pression). On attend, l’arme au pied, que d’autres nous rejoignent et les experts, personnalités sont en première ligne pour constituer un die Linke français, prêt pour 2012, avec d’autres composantes d’une nouvelle Gauche plurielle majoritaire, à gouverner …

Qu’on en juge : « Cerises n° 11 » édité par les Communistes unitaires fait état d’un certain nombre d’interviews : « un nouveau parti, aussi pluraliste que l’est die Linke en Allemagne est d’une brûlante actualité » (Piquet) « Dans l’attente de construire ultérieurement une gauche digne de ce nom », « ce qu’il nous faut c’est un projet politique au cœur de la gauche » (Debons)…( !) Et dans la lettre Mars-gauche républicaine du 10.10.2008, il s’agit de « construire un débouché politique … non pour accompagner les luttes (laissons cela ! – ndr) mais pour « une alternative politique (c’est notre affaire ndr) ayant vocation à proposer un projet gouvernemental lors des prochaines élections et donc ( !) capable de bâtir une majorité pour ce faire » (avec qui ? ndr) car il faut « réunir l’arc du cercle le plus large possible » et donc « prendre en compte les congrès des partis de gauche » (PC-PS) afin « d’entraîner une majorité dans ce pays dans la perspective des élections européennes ». (Dans le Parlement européen ? ndr). Et la finalité est clairement établie. La transformation sociale dans le cadre du capitalisme se résume à rejouer les Trente Glorieuses avec un « Etat social (il ne l’était pas tant que cela ! il y eut Mai 68 ! ndr) redistributeur grâce à une fiscalité juste », « contrôlant la monnaie et le crédit, interventionniste, planificateur (comme sous De Gaulle) et en plus « bien sûr écologiste ». Bref, dans le cadre du système dont on occulte la réalité de la domination de la bourgeoisie capitaliste en connivence avec l’élite politique (Strauss Kahn au FMI …) la « souveraineté populaire » se réduit comme peau de chagrin à « l’expression absolue » du suffrage universel et à la démocratie représentative, à déléguer périodiquement son pouvoir sous influence des médias assujettis aux puissances régnantes car, voyez-vous, « notre nation doit être fidèle aux idéaux de la Révolution de 1789 ». Et c’est sûr, Coquerel3 portera un bonnet phrygien défraîchi avec pour emblème :l faut civiliser, moraliser le capitalisme !

Contrairement à ces pantalonnades d’un autre âge, il faut au contraire affirmer que les règles du jeu du système ne sont pas les nôtres et promouvoir d’autres formes d’activités politiques. Car il faut faire renaître la volonté de s’engager pleinement pour se réaliser, susciter des « vocations » militantes parce que nous savons qu’en dernière instance ce sont les mouvements sociaux qui doivent trouver un débouché politique en provoquant une crise de régime. Pour l’heure, nous sommes encore au bord du chemin. Evitons l’impasse attentiste d’un regroupement d’appareils et attaquons nous à stabiliser les comités de base, les collectifs, les regroupements, aidons-les à mener des campagnes politiques en mettant au centre du débat la précarité, le démantèlement des services publics. Il faut affirmer avec tous ceux qui sont prêts à nous entendre : nous ne paierons pas la crise, la faillite du système. Exigeons un bouclier social, des augmentations des salaires, des pensions et des minima sociaux, l’annulation des dettes des surendettés démunis, la suppression des paradis fiscaux et des niches fiscales, la resocialisation immédiate des services publics et des entreprises stratégiques en débattant sur leur reconversion pour satisfaire les besoins réels, la socialisation des banques, l’instauration d’un revenu maximal, le droit de vote de tous les résidents étrangers à toutes les élections …

Et surtout, tout en respectant l’identité et l’indépendance de chacun, oeuvrons à l’émergence d’un front fédératif et démocratique, anticapitaliste et antilibéral (conséquent), définissons, en relation avec les luttes, le socialisme du 21ème siècle démocratique, autogestionnaire, planificateur et anti productiviste ! Le mur de Berlin s’est effondré, le mur de Wall Street ne s’effritera que sous la poussée populaire.

Gérard Deneux le 28.10.2008

1 Les expressions entre guillemets « Gauche de Gauche » « de gauche » « 100 % à gauche » … je ne les reprends pas à mon compte. Elles restent problématiques au regard précisément de ce qu’a été et reste la « Gauche »
2 confédération européenne des syndicats
3 Mars-Gauche républicaine

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