Les élections européennes passées, les partis de l’ancienne gauche plurielle sont préoccupés, en cette rentrée, non par la crise économique et sociale, mais par les préparatifs des régionales de 2010 et l’épineuse question de la composition des listes. Le mode de scrutin proportionnel confère aux formations politiques un rôle essentiel qui leur permet de rétribuer ou de reconvertir tout un ensemble de responsables (anciens battus, aspirants à la carrière politique sans ancrage municipal, collaborateurs ou proches d’élus, adjoints de grandes villes, responsables de courants…).
Les associés-rivaux socialistes, écologistes et communistes ont beaucoup à perdre ou à gagner dans cette bataille. Le Parti socialiste (PS) cherche ainsi à préserver la quasi-totalité des régions (vingt sur vingt-deux) qu’il dirige depuis son écrasante victoire de 2004. Sa première secrétaire, Mme Martine Aubry, a déjà concédé aux présidents sortants une grande liberté dans les stratégies d’alliance et la composition des listes pour permettre d’en conserver le maximum. Le pragmatisme électoral est désormais de mise.
Les Verts, dont la structuration locale dépend de leurs cent soixante-dix élus régionaux, entendent capitaliser leur succès aux européennes de juin dernier et construire un nouveau rapport de forces avec le PS en vue des prochaines législatives. Le Parti communiste français (PCF), enfin, hésite entre la poursuite du Front de gauche et une alliance classique avec le PS, moins aventureuse, qui aurait l’avantage de lui assurer d’emblée un minimum de mandats. L’intérêt des appareils politiques prime ici sur toute autre considération : les enjeux internes à la gauche ont pris le pas sur les préoccupations externes et les intérêts des groupes sociaux qu’elle est censée défendre.
Depuis 2002, la gauche se trouve dans une situation paradoxale. Affaiblie nationalement, écartée de la sphère du pouvoir d’Etat, idéologiquement dominée, privée de toute perspective structurante, elle n’a jamais autant prospéré localement. Le PS et les Verts ont accru de manière notable leur nombre d’élus, dont les pouvoirs ont été renforcés avec la décentralisation. Le PCF, dont les scores aux élections présidentielles sont catastrophiques, parvient à maintenir une présence parlementaire grâce à ses maires et survit grâce à ses réseaux d’élus. La « logique des élections intermédiaires » pénalise aujourd’hui les gouvernements de droite en place. En rééquilibrant localement le partage du pouvoir, elle assure une rente de situation aux partis de gauche, qui font ainsi vivre des milliers de professionnels de la politique dont les logiques de carrière pèsent en retour sur les stratégies partisanes.
Le développement de l’intercommunalité depuis 1999 (communautés de communes et d’agglomération, communauté urbaine) a contribué à augmenter fortement les rémunérations électives et à professionnaliser un nombre croissant d’élus qui vivent de et pour la politique. La question sensible des indemnités et du métier, occultée et déniée publiquement, joue en coulisse un rôle essentiel et surdétermine tout un ensemble de prises de position et de stratégies. Le PS est par exemple incapable de forger une position commune sur la réforme des collectivités territoriales, tant les intérêts départementalistes et régionalistes de ses représentants divergent.
La gauche se structure ainsi de plus en plus par rapport à une spécificité institutionnelle française : la quantité importante de mandats électifs liés à l’empilement des institutions locales. C’est d’ailleurs ce marché des postes électoraux que le président Nicolas Sarkozy cherche à tarir dans le projet de réforme des collectivités locales annoncé comme un temps fort de la fin de son quinquennat. La création du mandat de « conseiller territorial » doit en effet permettre de réduire le nombre de postes de conseillers régionaux et cantonaux de six mille à trois mille.
Il est convenu depuis quelques années de parler de la « crise » du PS, confronté à des problèmes de direction, de divisions permanentes, et à la démobilisation de ses militants… Mais cette crise reste toute relative. Beaucoup de socialistes se sont repliés dans le confort de leurs bastions, et le parti vit plutôt une crise de croissance locale, qui a vampirisé le centre partisan. Jamais il n’a compté autant d’élus. Les présidences socialistes des conseils généraux sont en progression constante : vingt-trois en 1994, trente-cinq en 1998, quarante et un en 2001, cinquante et un en 2004. Et, à l’issue des victoires remportées cette année-là, il totalisait six cent quatre-vingt-quatorze conseillers généraux et six cent quarante conseillers régionaux.
Le PS comprend en outre un nombre considérable de maires (deux mille neuf cent treize en 2005), auxquels il faut ajouter conseillers municipaux, adjoints et élus communautaires. Il a obtenu un succès historique aux dernières élections municipales, qui a encore accru de manière appréciable ses ressources institutionnelles. Il est même en passe d’être majoritaire au Sénat pour la première fois de son histoire.
Une dépolitisation du discours local
Ces conquêtes de postes nouveaux n’empêchent pas un très faible renouvellement des élites, de plus en plus vieillissantes. Les chances de faire une carrière au sein du PS apparaissent extrêmement restreintes pour tous ceux qui ont intégré le parti après 1981. Beaucoup de jeunes maires et/ou conseillers généraux élus à la fin des années 1970, ou de jeunes députés sans mandat antérieur portés par la vague rose de 1981, sont toujours en place, même s’ils ont changé de mandat en cours de chemin. Un tiers des députés désignés en 1978 et 1981 avaient moins de 40 ans lors de leur élection. Ce pourcentage a baissé régulièrement, pour atteindre 9,9 %en 1997 (année pourtant faste, avec deux cent cinquante-quatre élus) et seulement 4,2 % en 2002. L’âge moyen des députés est, en 2006, de 54 ans, soit à peu près ce qu’il était avant 1971.
Dans ce contexte, chez de nombreux dirigeants socialistes, les vieux réflexes « molletistes » resurgissent : « Laissons le pouvoir à la droite, il y a trop de coups à prendre dans un environnement économique hostile à la social-démocratie, replions-nous sur nos positions locales qui font vivre le PS. » Les élus en place mesurent bien qu’une hypothétique victoire socialiste à l’élection présidentielle aurait mécaniquement, par la logique des « élections intermédiaires », des effets négatifs sur leur ancrage local. Ils se désolidarisent ainsi du devenir national de leur organisation et cultivent leurs fiefs.
Mais à quoi sert, au juste, le pouvoir local ? Les contours du « socialisme municipal » demeurent particulièrement flous, et son exercice ne paraît pas favoriser la politisation. Le local, pourtant doté de marges de manœuvre réelles avec la décentralisation, malgré le désengagement de l’Etat — et la forte baisse des moyens dans les villes ouvrières —, ne semble plus représenter un levier de transformation sociale (comme ce fut le cas dans les années 1970). On se défend de « faire de la politique » à ce niveau, pensé comme relevant essentiellement de la gestion.
Le programme socialiste municipal de 2007 n’était qu’une vague déclaration de principes qui n’inspira que secondairement les candidats. Les régions arrachées à la droite en 2004 devaient se transformer en « vitrines » du socialisme. Il n’en fut rien. Que sont devenus, par exemple, les « emplois tremplins » ? L’apolitisme tient souvent lieu de projet à des élus qui cherchent avant tout à conforter leur implantation et répugnent à un marquage partisan trop net de leur action. La dépolitisation du discours local n’est au total que l’envers de la notabilisation du parti.
La « proximité » suffit à faire un programme. Cette euphémisation politique contribue certainement à la mise en retrait des groupes les moins politisés et des catégories populaires, qui se sont largement abstenues aux élections municipales de 2007. Aucune règle nationale n’a véritablement prévalu dans la constitution des alliances locales lors de ce scrutin. Le PS laisse à ses notables une grande autonomie dans la définition des stratégies et le périmètre des alliances légitimes. Des accords avec le Mouvement démocrate (Modem) ont ainsi pu être conclus dès le premier tour en fonction de « contextes locaux », comme il en sera probablement de même aux prochaines régionales.
La part des élus dans le nombre total des adhérents s’en trouve accrue, renforcée encore par la véritable hémorragie d’adhérents que connaît l’organisation depuis plusieurs mois. Ceux qui ont des mandats tiennent de fait les sections et oscillent entre « malthusianisme » et « clientélisme ». Soit ils ne cherchent pas à développer le militantisme pour consolider leurs réseaux personnels et éviter que de nouveaux venus remettent en cause les équilibres établis, soit ils recrutent des personnes « sûres » et captives (salariés des collectivités locales, collaborateurs parlementaires...). Les congrès se construisent principalement autour du ralliement des grands élus et des fédérations à tel ou tel camp en présence. Mme Aubry a très largement fondé son assise à Reims, en novembre 2008, sur la puissante fédération du Nord, tandis que Mme Ségolène Royal s’appuyait sur celles des Bouches-du-Rhône et de l’Hérault. Les courants, désidéologisés, ne sont plus que des coalitions fragiles d’intérêts contradictoires et des conglomérats de notables locaux. Aussi se révèlent-ils incapables de structurer durablement des rapports de forces.
La professionnalisation du PS travaille aussi le militantisme. Les intérêts professionnels et militants se confondent souvent. Nombreux sont ceux qui dépendent très directement des élus, en raison de la transformation de la fonction publique locale, de la multiplication des structures de cabinet à tous les niveaux des collectivités territoriales et des structures attachées au parti. La place numérique et stratégique occupée par les professionnels de la politique, croissante depuis une vingtaine d’années, en a bouleversé progressivement l’économie interne et l’économie morale. Les intérêts électoraux sont devenus prépondérants à tous les niveaux, ce qui cantonne les tâches d’élaboration programmatique et le travail militant le plus quotidien (en dehors des phases de mobilisation électorale) au plus bas de l’échelle des pratiques.
« Les élus,
et ceux qui veulent leur place »
Alors que se décomposent ses liens avec le monde du travail, les catégories populaires, les enseignants, les intellectuels, les associations, les syndicats… le PS se rétracte sur ses réseaux d’élus. De plus en plus replié sur ses jeux et enjeux propres, il est devenu un entre soi en apesanteur sociale. Les dirigeants socialistes ne cherchent même plus à masquer cette réalité, les plus critiques d’entre eux dénonçant après la défaite aux dernières européennes un « parti de notables » sans proposer pour autant une remise en cause de leur pouvoir. Ce poids des élus rend improbable une explosion ou une scission du parti, qui pourrait apparaître comme une solution à la situation actuelle : trop d’intérêts professionnels sont en jeu. Les élus sont attachés, à tous les sens du terme, à une machine électorale qui les fait vivre et qui demeure particulièrement performante au niveau local. Peu d’entre eux, même parmi les proches de M. Jean-Luc Mélenchon, l’ont ainsi suivi dans la création du Parti de gauche.
Si les écologistes ont, quant à eux, longtemps vu le PS comme un contre-modèle, le même processus de professionnalisation les affecte. Elle semble loin, l’époque où ils défendaient la « politique autrement » et cherchaient à subvertir cette logique. Les Verts ont souvent cultivé une forte méfiance à l’égard des pratiques traditionnelles et des principes de la délégation politique (logique de carrière, concentration du pouvoir, personnalisation, leadership…). Ils ont même, un temps, expérimenté de nouvelles formes d’exercice des mandats — refus du cumul, occupation des sièges à tour de rôle (système dit « du tourniquet ») —, un peu comme les partis ouvriers avaient tenté de le faire à la fin du XIXe siècle.
Ces velléités n’existent plus. Convertis au « réalisme » électoral, les écologistes se sont normalisés et ont pleinement intériorisé les règles du jeu de la démocratie représentative telle qu’elle est. La rotation des mandats n’est plus appliquée. Leur cumul est toléré et largement pratiqué, même si les statuts du parti le réglementent toujours. M. Noël Mamère est député-maire de Bègles depuis trois législatures ; et Mme Dominique Voynet, après s’être engagée à ne détenir qu’un seul poste, est devenue, à la suite des dernières élections municipales, sénatrice-maire de Montreuil.
Cette évolution est justifiée par des arguments désormais classiques : il faudrait mettre en avant des personnalités connues, reconnues et compétentes. Le capital politique va en somme au capital politique, c’est une règle d’accumulation constitutive du jeu politique. M. Mamère déclarait ainsi : « Nous ne pourrons compter face à nos partenaires que si nous avons des élus. Si nous perdons notre implantation, nous sommes morts » (Le Monde, 14 juin 2003). Mme Voynet a fait valoir quant à elle qu’en renonçant à son mandat sénatorial elle ferait perdre un siège à son parti, mais aussi que le cumul serait favorable aux intérêts de sa commune…
Les Verts ne bénéficient pas, comme le PS ou le PCF, de bastions et de bases municipales, ce qui est une faiblesse dans le cadre de scrutins uninominaux (comme les élections cantonales et législatives), où existe une compétition à gauche. Mais leur pragmatisme est payant. Le parti écologiste obtient de plus en plus d’élus et se professionnalise largement. On recense quarante et un maires Verts — trois femmes et trente-huit hommes — sortis des urnes en 2008 (tous dans des villes de moins de dix mille habitants, à l’exception de Montreuil, Bègles, le 2e arrondissement de Paris et Mèze), dont dix-huit exercent leur premier mandat.
A l’issue des dernières cantonales, les Verts disposent de onze élus — trois femmes et huit hommes —, dont quatre sortants. Après les élections régionales de 2004, on recensait chez eux cent soixante-huit conseillers régionaux. Enfin, ils ont cinq sénateurs et quatre députés. Ces chiffres sont considérables si on ajoute les salariés de parti et si on les rapporte au nombre de militants.
Députée écologiste à Paris, passée au Parti de gauche, Mme Martine Billard analyse ce poids grandissant des professionnels de la politique et ses effets sur le parti : « J’estime à deux mille le nombre d’élus et de salariés politiques, sur cinq mille adhérents réels. Ça finit par peser très fortement. Les élus sont absorbés par leur tâche de gestion ; ils se noient dans leur travail, surtout quand ils sont dans les exécutifs, et négligent localement de développer le parti et le militantisme. On a l’habitude d’ironiser chez les Verts en disant que, dans le parti, il y a les élus, les salariés d’élus et ceux qui veulent prendre leur place. Les collaborateurs sont recrutés dans les réseaux militants. Pour les adhérents, l’élection municipale est la plus importante, c’est celle qui les motive le plus. Les listes communes avec les socialistes dès le premier tour, très nombreuses, permettent de sécuriser les mandats locaux. La politique est vue de plus en plus sous un angle professionnel. Les militants, le plus souvent trentenaires, qui arrivent dans le parti veulent être élus. Pour eux, faire de la politique, c’est être élu. Le milieu associatif, qui s’est lui-même beaucoup professionnalisé, vit des subventions des collectivités gérées ou cogérées par les élus. »
L’élection de quatorze députés européens écologistes en 2009 a marqué un certain renouvellement des élites vertes. Mais les nouveaux représentants ne sont pas des néophytes. M. Daniel Cohn-Bendit s’est présenté en France parce qu’il était soumis en Allemagne à une règle de limitation de la durée des mandats. M. Gérard Onesta a abandonné le Parlement de Strasbourg, comme il s’y était engagé, mais il va sans doute être tête de liste aux régionales de 2010. Mme Karima Delli, 29 ans, travaillait pour un sénateur ; Mme Hélène Flautre commence son troisième mandat ; Mme Michèle Rivasi était jusque-là adjointe au maire et vice-présidente du conseil général de la Drôme ; M. François Alfonsi, maire…
Crainte d’un retour
à la vie professionnelle
La problématique du PCF est un peu différente. On observe, certes, un renforcement du pouvoir des élus dans un parti qui cherchait historiquement à les contrôler pour éviter toute dérive de personnalisation notabiliaire (le cumul était globalement interdit jusque dans les années 1970). Le PCF retrouve l’« implantation en archipel » qui était la sienne dans l’entre-deux-guerres : son électorat se dénationalise et se rétracte sur ses bases locales. Le parti s’appuie sur ses élus, poursuivant par là une stratégie d’amortissement du déclin dont le prix est leur forte autonomie. Cette posture de survie explique largement le grand écart du PC, pris entre sa proximité idéologique avec l’extrême gauche et la volonté de préservation des positions locales qu’assure (pour combien de temps ?) l’alliance avec le PS.
L’historien communiste Roger Martelli analyse les écueils de cette orientation : « On est dans une situation d’entre-deux. Il s’agit de maintenir le capital d’élus pour sauver l’appareil, de coller au PS pour préserver les positions locales. Mais enrayer le déclin plutôt que de constituer de nouvelles dynamiques est une démarche défensive. Le poids de la question électorale et des intérêts locaux s’est incontestablement renforcé, mais ils sont conçus comme une condition du maintien de l’appareil, qui demeure le noyau considéré comme nécessaire de l’organisation communiste. Le parti cherche à avoir des élus, leur poids s’est accru, mais, dans les organismes de direction, il n’a pas grandi. La structure partisane verticale et hiérarchique reste une culture enracinée. En même temps, les responsables de parti sont devenus élus, ce qui a toute une série d’effets. Les régionales de 1998 ont été de ce point de vue un tournant. La consigne a été de mettre systématiquement les secrétaires fédéraux sur les listes. Ils ont pris des responsabilités dans les exécutifs. C’est une rupture. C’est une manière de salarier des permanents sur des fonctions électives. Jusque-là, les secrétaires fédéraux demeuraient en retrait des responsabilités gestionnaires pour se consacrer au parti. On entendait alors beaucoup : “Moi, si je ne suis pas élu, je n’ai plus de poste de permanent, mais ma fédération éclate ou se désagrège.” » De nombreux élus d’origine ouvrière, qui vivent de la politique depuis longtemps, craignent un retour à la vie professionnelle susceptible de leur poser de redoutables problèmes de reconversion.
De fait, le fonctionnement et la viabilité du PCF dépendent en grande partie des contributions de ses élus. En 2007, près de dix mille élus locaux lui apportaient plus de la moitié de ses ressources. Le PCF est de loin la formation où ce phénomène est le plus fort.
Au total, les institutions locales tiennent les partis de gauche beaucoup plus que l’inverse. La prime à la « compétence » technicise les problèmes et les dépolitise — y compris dans l’esprit des profanes qui ont intériorisé la division des rôles comme une nécessité fonctionnelle. L’espace politique, ainsi que l’a bien montré Pierre Bourdieu, est un champ autonome, de plus en plus replié sur ses jeux et enjeux propres, imperméables à de nouveaux entrants. Le personnel qui s’y adonne le fait de plus en plus longtemps et s’apparente à une caste inamovible. En 1958, un député sur trois était âgé de moins de 40 ans. Cette proportion a chuté en 2002 à un sur treize. En 2008, les plus de 55 ans représentent pour la première fois la majorité absolue des députés. La règle de la prime aux sortants s’est imposée dans quasiment l’ensemble des formations partisanes.
Loin de contrecarrer cette évolution, la gauche institutionnelle l’a confortée. La professionnalisation qui l’affecte concourt ainsi à l’éloigner socialement et pratiquement des groupes sociaux qu’elle est censée défendre. Entrer en politique, c’est se consacrer à temps plein à une nouvelle activité, et souvent quitter son milieu d’origine pour s’investir dans un nouveau monde social ayant ses règles et ses codes. Avec le temps, il devient difficilement envisageable de faire autre chose. L’absence d’un statut de l’élu, si elle constitue un réel problème, sert d’argument-prétexte pour justifier cette clôture du jeu.
Dès lors, la professionnalisation se mesure à l’aune de la faible représentativité sociale des élus et de l’éviction des catégories populaires. Les enseignants élus députés socialistes au début des années 1980 se sont ainsi très largement coupés d’un milieu où le PS disposait d’un fort ancrage. Les filières syndicales ou associatives du recrutement se sont taries. Dans la dernière Assemblée nationale, plus aucun député n’est d’origine ouvrière. Ces évolutions constituent aussi un obstacle à la recomposition de la gauche. Le patriotisme de parti est à la mesure des intérêts de carrière. Les choix individuels concernant les positions électives priment sur tout et confortent les stratégies d’appareil.