mardi 30 mars 2010

Eric Zemmour, Sacco & Vanzetti, Marx... propos d'un expert-journaliste du Figaro

Zemmour est raciste, ridicule, grotesque et tout ce qu'on voudra ! Par contre, il est indispensable qu'il continue à s'exprimer, car comme vous allez pouvoir le lire ci- dessous, quand il "cause dans le poste" et qu'on est attentif à ses propos, il y a de quoi rigoler aux larmes.

Sur Sacco et Vanzetti
(samedi 9 février 2008, « On n’est pas couché »). Face au chanteur Cali qui évoque le combat de son grand-père « pour les idées de Sacco et Vanzetti », Éric Zemmour assène :

« Sacco et Vanzetti, vous savez que maintenant on sait que c’étaient des types des services secrets russes. C’est pour vous que je dis ça. C’est la vraie histoire : c’est les archives du KGB qui sont maintenant ouvertes ».

C’est tout simplement faux : le grand historien Zemmour qui amalgame tout ce qu’il déteste confond Sacco et Vanzetti (anarchistes, innocents des crimes dont on les accusait, condamnés à mort, exécutés en 1927 et absous en 1977) avec les époux Ethel et Julius Rosenberg (condamnés à mort pour espionnage et exécutés en 1953 : leur degré de liaison avec le KGB n’est pas clairement établi et leur condamnation à mort reste, pour le moins, difficile à justifier). Heureusement, l’éminent Laurent Ruquier a corrigé : « Mais on s’en fout de Sacco et Vanzetti […] ». (Ruquier n'ayant pas inventé l'eau chaude, on comprend la teneur de son intervention)

- Sur Karl Marx (samedi 13 décembre 2008, « On n’est pas couché »)

Éric Zemmour, confronté à Jacques Attali, attribue la crise économique à l’immigration, et convoque Karl Marx à la rescousse.

- Jacques Attali : « L’immigration n’a absolument rien à voir avec la crise […] »
- Éric Zemmour : « Bien sûr que si […] »
- Jacques Attali : « Ça n’a aucun rapport »
- Éric Zemmour : « Marx l’explique très bien… »
- Jacques Attali « Non non. Marx ne parle de l’immigration d’aucune façon. »
- Éric Zemmour : « … "L’armée de réserve du capitalisme, c’est les immigrés et les chômeurs." »
- Jacques Attali : « L’armée de réserve du capitalisme, c’est les chômeurs, ce n’est pas du tout les immigrés. Ça n’a aucun rapport. On sait très bien que chômeurs et immigrés, ce n’est pas la même chose. […] »

Le grand marxologue Éric Zemmour a mal révisé ses fiches : même Jacques Attali connaît mieux Marx que lui.


Pour les gourmands, la suite est sur le site Acrimed (voir nos liens).

Il faut fermer la Bourse



"Avons nous besoin des actionnaires ?"

Pour nous aider à répondre à cette question, voici une petite interview de Frédéric Lordon (économiste de son état et bien connu des auditeurs de D. Mermet). F. Lordon a le sens de la formule et c'est donc drôle à lire. Cela nous change de Bernard Maris, le chienchien de Philippe Val...

Entretien avec Emmanuel Lévy, Marianne2, 8 mars 2010

vendredi 12 mars 2010, par Frédéric Lordon

Emmanuel Lévy : Dans un long papier paru dans le Monde Diplomatique vous préconisez la fermeture de la Bourse. Est-ce vos options politiques de dangereux gauchiste désireux de couper des têtes, ou vos motivations s’inspirent-elles d’une argumentation compatible avec un monde capitaliste ?

Les idéologues libéraux, qui ont l’amnésie intéressée, voudraient faire oublier cette période du fordisme dans laquelle la finance a été cadenassée, la Bourse inexistante… et la croissance étincelante. Or que je sache, le fordisme, ça n’était pas le Gosplan ni les soviets mais bien le capitalisme. Mais la vraie réponse à cette question est ailleurs. Elle consiste à dire que, dans la logique même des entreprises d’aujourd’hui, la Bourse est une aberration :

1) les entreprises vont moins s’approvisionner en capital à la Bourse qu’elles n’y vont s’en faire dépouiller, puisque ce que les actionnaires leur extorquent (en dividendes et en rachat d’actions) finit par l’emporter sur ce qu’ils leur apportent, de sorte que ce n’est plus la Bourse qui finance les entreprises mais les entreprises qui financent la Bourse ! ;

2) la contrainte actionnariale censure une part de plus en plus importante de l’investissement en écartant les projets jugés insuffisamment rentables (et l’« insuffisance » commence à 10 % voire 15 %...), par conséquent la Bourse est un frein au développement économique ;

3) les entreprises sont soumises par l’actionnaire à des contraintes de gestion (modes managériales successives, court-termisme…) incompatibles avec la conduite de moyen-long terme de projets industriels ;

4) et le comble du paradoxe est atteint lorsque les actionnaires finalement découragent eux-mêmes le financement par action puisque les nouvelles émissions ont des propriétés dilutives…

Mais la Bourse s’est imposée dans le paysage, tout comme la météo ?

C’est là typiquement le genre d’énoncé qui offre un concentré pur de l’idéologie néolibérale : la naturalisation des faits sociaux. Alain Minc n’est pas capable de bâtir un « argument » économique sans invoquer la loi de la pesanteur. Or la Bourse est une forme institutionnelle, elle n’est pas sortie du cul d’une poule ni tombée du ciel. Elle a été faite de main d’homme. Par conséquent elle peut être défaite s’il apparaît qu’on y a plus d’avantages que d’inconvénients — ce qui me semble notoirement le cas. Il y a eu un moment où on s’est dit que l’institution « monarchie de droit divin » était pénible. Elle a fini dans le même panier que la tête du roi et depuis ça va mieux. On pourrait dire cependant que c’est bien la loi de la pesanteur qui a fait tomber le couteau de la guillotine… Mutatis mutandis bien sûr — on n’est pas des sauvages — il se pourrait, vu sous cet angle, que MM. Minc & Co découvrent un jour un aspect de la loi de la pesanteur qui ne leur était pas apparu.

La Bourse de Paris n’est-elle pas déjà fermée ? Le palais Brongniart n’est-il pas depuis longtemps transformé en mini palais des Congrès ?

C’est la seule chose vraiment regrettable puisque ça rend plus difficile sa destruction physique, dont les bonnes propriétés symboliques et carnavalesques ne devraient pas être méconnues. Au moins mai 68 avait eu la possibilité de mettre le feu au palais Brongniart… Mais vous-même feignez l’innocence et savez bien que la Bourse existe, simplement sous la forme moins spectaculaire de très gros serveurs informatiques bien planqués quelque part — où d’ailleurs ? Question intéressante, n’est-il pas ?

Les évolutions techniques en matière de finance que vous évoquez (je pense que cela sera le cas…) ont-elles profondément modifié le rapport de force entre la finance et l’économie productive ?

C’est bien peu de le dire. Et c’est précisément parce que ce rapport de force s’est renversé du tout au tout qu’il est urgent de remettre des limites au capital actionnarial qui n’en connaît aucune et, de lui-même, ne s’en imposera aucune. C’est pourquoi les appels à la modération qui ont pour nom « moralisation du capitalisme » sont d’une indigence qui partage entre le rire et les larmes. L’emprise acquise sur les firmes par le capital actionnarial au travers de la configuration présente du capitalisme est un fléau qu’on ne réduira que par les mêmes moyens qui l’ont imposé : une transformation radicale de structures. Des contraintes de gestion aberrantes et des effets d’anti-financement résument ce fléau qui naît bien moins de la dépendance financière des entreprises aux apporteurs de capitaux (les capitaux, les « apporteurs » les leurs prennent !) que du contrôle des équipes dirigeantes par le cours de Bourse : si les actionnaires sont mécontents, des ventes font baisser le cours, l’entreprise devient opéable… et le patron éjectable. L’histoire récente du capitalisme est (en partie) l’histoire d’une lutte de puissance entre deux fractions du capital : le capital financier et le capital industriel, le premier ayant reçu de la modification des structures un pouvoir inédit qui lui a permis de déposséder le second de son ancienne souveraineté. Et de lui imposer tout et n’importe quoi. Et à la fin le capital industriel passe le mistigri au salariat…

Les promesses faites par la finance, en réalité celles issues de la libéralisation des marchés, avec à la clé plus de croissance, plus de richesse, n’ont-elles donc pas été tenues ? Après tout, sans la Bourse, pas de Google, non plus de Microsoft ?

C’est vous qui le dites et il faudrait un ou deux arguments pour le soutenir. Que des Google ou des Microsoft soient apparus pendant la période de déréglementation financière ne prouve nullement que celle-ci soit la cause sine qua non de ceux-là. La seule chose dont on soit certain est que, sans Bourse, pas de Bill Gates et de Larry Page multi-milliardaires… On ne peut pas dire que ce soit un avantage économique indéniable. Il est vrai cependant que le financement des start-ups technologiques est l’argument de dernier recours pour justifier la finance actionnariale mais au travers de ce compartiment très spécial et en fait très étroit de l’amorçage et du venture capital. La perspective de l’introduction en Bourse y est présentée comme stratégique précisément du fait que le financement de l’innovation radicale est hautement incertain, finit mal neuf fois sur dix, et qu’il faut décrocher le pompon sur la dixième pour rattraper les neuf autres. Mais une telle économie de la péréquation est très concevable hors de la Bourse et on pourrait parfaitement l’imaginer opérée au travers d’instruments de dette un peu sophistiqués à base de taux d’intérêt variables indexés sur les profits des start-ups par exemple. Rien dans leur financement ne justifie incontestablement de maintenir un passage par la Bourse, à part le désir de l’enrichissement hors de proportion de créateurs d’entreprise et de business angels mus au moins autant par le projet de faire fortune que par celui de créer quelque chose.

Pour ce qui est de la contribution de la finance à la croissance, je vous suggère de comparer le taux de croissance moyen des trente glorieuses, donc sans finance dérégulée et avec une Bourse croupion (5% l’an en moyenne), et celui de la période de hourrah-dérégulation depuis deux décennies. L’affaire est vite vue. Et ceci n’est nullement un plaidoyer passéiste mais simplement l’idée — logique — qu’un contre-exemple suffit à ruiner une généralité. Dont nous ne devrions donc plus être prisonniers.

La fermeture de la Bourse peut elle s’envisager dans un seul pays ?

Pour le coup oui ! Ce sont toutes les mesures « intermédiaires » qui font hurler au péril de la fuite des capitaux. Mais en fermant la Bourse, c’est nous qui mettons les capitaux à la porte ! Et pour autant ceci ne signifie nullement une économie privée de fonds propres. L’idéologie actionnariale a fini par faire oublier que les capitaux propres, ce sont les entreprises qui les sécrètent par leurs profits… dont elles vont se faire dépouiller à la Bourse. L’autofinancement, le crédit bancaire et éventuellement des marchés obligataires constituent un mode de financement tout à fait viable de l’économie.

Une fois la bourse fermée, ou iraient les cerveaux bien formés que les super rémunérations issues de la finances attirent dans les salles de marché ?

De deux choses l’une, ou bien ils foutraient le camp et iraient exercer leurs nuisances ailleurs, ou ils mettraient leurs supposées intelligences au service d’activité socialement plus utiles et dans les deux cas on ne s’en porterait que mieux. Il est grand temps de se désintoxiquer de l’idéologie des « compétents », dont l’incompétence est pourtant spectaculairement démontrée jour après jour, mais dont il faudrait néanmoins satisfaire toutes les exigences sous la menace de les voir partir. La question des bonus et des rémunérations est entièrement captive de cette grande illusion. Je dis que le départ des « meilleurs » traders est une bénédiction : 1) ne resteront que les moins finauds auxquels il faudra ne confier que les produits les moins sophistiqués… donc les moins risqués ; 2) si le problème économique posé par les bonus ne doit pas être sur-estimé, le problème politique de justice sociale et d’inégalités obscènes est lui de première importance, c’est pourquoi, non pas limiter mais interdire les bonus, et éventuellement faire fuir les traders, est une solution à envisager très sérieusement car ces extravagantes rémunérations ont le caractère d’un trouble à l’ordre public ; 3) la finance est un pôle d’attraction qui a profondément distordu l’allocation du capital humain dans la division du travail en captant des esprits qui seraient infiniment mieux employés ailleurs. Quant aux « compétents » non traders, s’ils savaient… Il y en a quinze derrière eux qui feraient le travail aussi bien qu’eux.

En fait, ce n’est pas vraiment la fermeture de la Bourse que vous prônez, mais une sorte de ralentissement de son cours, que vous décrivez comme infernal. En quoi, la fin de la cotation permanente, c’est à dire en continu des titres est-elle apte à redistribuer les cartes ?

Mais si mon bon monsieur, c’est bel et bien la fermeture de la Bourse que je prône ! Je concède que c’est un peu rude à avaler… Cependant pour les petits estomacs, j’ai une sorte de formule à la carte, avec un étagement de recettes anti-actionnariales rangées dans l’ordre de l’épicé croissant. En amuse-bouche, je propose, en effet, de commencer par une formule de « ralentissement » en abolissant la cotation en continu, remplacée par un fixing mensuel (ou plurimestriel). Puis on entre dans le roboratif avec le SLAM (Shareholder Limited Authorized Margin) qui est un impôt non pas sur les profits d’entreprise (comme on le lit parfois) mais sur la rentabilité actionnariale, et qui plus est un impôt de plafonnement : c’est-à-dire qui prend tout au-delà d’un certain seuil maximal autorisé de rentabilité, le but de la manœuvre étant de cisailler les incitations actionnariales à pressurer toujours davantage les entreprises puisque tout ce qu’elles leur feront cracher en plus pour les actionnaires leur sera confisqué. Le plat de résistance bien sûr, c’est la fermeture de la Bourse elle-même. Chacun puisera là dedans selon son appétit politique et la conjoncture du moment.

Pensez-vous que les partis de gauche de gouvernement soient capables d’intégrer vos arguments ?

Les partis de gauche de gouvernement mangent des graines et font à peine cuicui.

lundi 29 mars 2010

Goldman Sachs ... Oooohhhh les vilains !

Ne boudons pas notre plaisir. Ce petit extrait d'un article trouvé sur une lettre d'information boursière ne manque pas de sel et nous dresse le pédigré d'un escroc notoire, à savoir Henry Paulson.

"Vous savez sans doute qu'il était Secrétaire au Trésor US du 3 juillet 2006 au 20 janvier 2009. Ce que vous ne savez peut-être pas, c'est qu'il a également été président de Goldman Sachs entre 1999 et 2006.

Pratique, non ? Pendant qu'il était à la tête de Goldman, il a contribué à créer la bulle de dette hypothécaire subprime. Excellent pour les affaires de Goldman. Au plus haut de la bulle, en 2005, les employés de Goldman Sachs ont gagné en moyenne 521 000 $ par an -- secrétaires comprises -- soit 58 fois le salaire minimum européen. Paulson lui-même a gagné 38 millions de dollars cette année-là.

Puis la dette des subprime a explosé... causant une réaction en chaîne dans le monde de la finance qui a effacé l'équivalent de 30 000 milliards de dollars d'actifs.

Mais chez Goldman Sachs, on s'en est sorti comme... eh bien, comme des bandits. Tout en vendant de la dette subpirme à ses clients -- dont des hopitaux, des universités et des fonds de pension -- Goldman a utilisé son propre argent pour parier contre cette dette. Autant vendre une voiture pleine de défauts dangereux à une vieille dame... pour ensuite prendre une assurance-vie dessus.

Puis, lorsque l'un des paris de Goldman a mal tourné -- AIG -- Paulson est intervenu depuis son poste de Secrétaire au Trésor US, et a mis en place un renflouage de 85 milliards de dollars pour la banque, dans le cadre d'un plan de sauvetage plus vaste encore, à 700 milliards de dollars. Goldman s'en est sorti plus riche et plus puissant que jamais."


Moraliser le capitalisme ???!!!!! Quelle drôle d'idée !!!

Les Arabes et la Shoah



vendredi 9 avril - 20h30 - Gilbert Achcar à la Maison du Peuple
de Belfort

La prochaine conférence des AES à laquelle Alain Finkielkraut n'assistera pas. Si vous ne le supportez pas, venez sans hésiter, il n'y a aucune chance qu'il soit là.

Publié par Gilbert Achcar, fin 2009, aux Editions Sindbad-Actes Sud, Les Arabes et la Shoah contribue de manière décisive à la déconstruction d’un thème central de la propagande pro-israélienne, comme l’a confirmé une récente émission d’Arte (voir : http://www.monde-diplomatique.fr/carnet/2009-12-08-Grand-mufti).

Comme vous le savez, celle-ci bute sur un puissant argument de bon sens : pourquoi les Palestiniens, qui n’ont eu aucune part au génocide des Juifs, devraient-ils être les victimes de sa réparation ? D’où l’exploitation éhontée du rapprochement, dans les années 1940, entre le Grand mufti de Jérusalem et le IIIe Reich : pour impliquer à tout prix les Palestiniens dans la Shoah et, indirectement, justifier leur dépossession.

Non seulement Gilbert Achcar apporte un éclairage exhaustif sur ce sombre épisode, mais il étudie longuement les rapports du mouvement national palestinien et arabe avec l’idéologie fasciste et nationale-socialiste.

Il s’agit d’un livre majeur, qui, sans doute pour cette raison, a fait l’objet d’une censure implacable dans les médias français.

Collaborateur du Monde diplomatique, Gilbert Achcar est originaire du Liban, qu’il a quitté en 1983. Il a été enseignant à l’université de Paris-VIII, puis chercheur au centre Marc-Bloch de Berlin, avant d’être nommé professeur à la School of Oriental and African Studies (SOAS) de l’université de Londres. Auteur traduit en plus de quinze langues, il a notamment publié Le Choc des barbaries (2002, 2004) ; L’Orient incandescent (2003) ; La Guerre des 33 Jours (2006, avec une contribution de Michel Warschawski) ; et, conjointement avec Noam Chomsky, La Poudrière du Moyen-Orient (2007).

samedi 27 mars 2010

Faire de la politique ou vivre de la politique ?

Texte paru sur le blog du Monde Diplomatique. L'auteur, Rémy Lefebvre nous rendra visite le 31 mars à Belfort (20H30 à la Maison du Peuple) et nous aborderons une thématique pointue, histoire de casser l'ambiance 'euphorique" post Régionales.

Exclus durablement du pouvoir national en France, les partis de l’ex-gauche plurielle se sont repliés sur leurs bases locales et sur leurs réseaux d’élus, s’accommodant d’une situation qui leur assure de nombreux postes à répartir. Le Parti socialiste, le Parti communiste français et les Verts sont ainsi devenus des machines électorales, relativement performantes sur le plan municipal, départemental ou régional, dans lesquelles les intérêts de milliers de professionnels de la politique semblent désormais prédominer. Il semble loin le temps où la gauche combattait la notabilisation de ses élus. La lutte des places tend à se substituer à celle des classes, coupant les partis de gauche des revendications et du vécu quotidien des groupes sociaux qui les soutenaient traditionnellement (ouvriers, employés, enseignants). Et alors même que flexibilité et précarité frappent durement ces milieux et que la crise a fissuré les dogmes libéraux, ce sont les querelles de chefs et les savants calculs pour la composition des listes électorales qui dominent les débats.

Par Rémy Lefebvre

Les élections européennes passées, les partis de l’ancienne gauche plurielle sont préoccupés, en cette rentrée, non par la crise économique et sociale, mais par les préparatifs des régionales de 2010 et l’épineuse question de la composition des listes. Le mode de scrutin proportionnel confère aux formations politiques un rôle essentiel qui leur permet de rétribuer ou de reconvertir tout un ensemble de responsables (anciens battus, aspirants à la carrière politique sans ancrage municipal, collaborateurs ou proches d’élus, adjoints de grandes villes, responsables de courants…).

Les associés-rivaux socialistes, écologistes et communistes ont beaucoup à perdre ou à gagner dans cette bataille. Le Parti socialiste (PS) cherche ainsi à préserver la quasi-totalité des régions (vingt sur vingt-deux) qu’il dirige depuis son écrasante victoire de 2004. Sa première secrétaire, Mme Martine Aubry, a déjà concédé aux présidents sortants une grande liberté dans les stratégies d’alliance et la composition des listes pour permettre d’en conserver le maximum. Le pragmatisme électoral est désormais de mise.

Les Verts, dont la structuration locale dépend de leurs cent soixante-dix élus régionaux, entendent capitaliser leur succès aux européennes de juin dernier et construire un nouveau rapport de forces avec le PS en vue des prochaines législatives. Le Parti communiste français (PCF), enfin, hésite entre la poursuite du Front de gauche et une alliance classique avec le PS, moins aventureuse, qui aurait l’avantage de lui assurer d’emblée un minimum de mandats. L’intérêt des appareils politiques prime ici sur toute autre considération : les enjeux internes à la gauche ont pris le pas sur les préoccupations externes et les intérêts des groupes sociaux qu’elle est censée défendre.

Depuis 2002, la gauche se trouve dans une situation paradoxale. Affaiblie nationalement, écartée de la sphère du pouvoir d’Etat, idéologiquement dominée, privée de toute perspective structurante, elle n’a jamais autant prospéré localement. Le PS et les Verts ont accru de manière notable leur nombre d’élus, dont les pouvoirs ont été renforcés avec la décentralisation. Le PCF, dont les scores aux élections présidentielles sont catastrophiques, parvient à maintenir une présence parlementaire grâce à ses maires et survit grâce à ses réseaux d’élus. La « logique des élections intermédiaires » pénalise aujourd’hui les gouvernements de droite en place. En rééquilibrant localement le partage du pouvoir, elle assure une rente de situation aux partis de gauche, qui font ainsi vivre des milliers de professionnels de la politique dont les logiques de carrière pèsent en retour sur les stratégies partisanes.

Le développement de l’intercommunalité depuis 1999 (communautés de communes et d’agglomération, communauté urbaine) a contribué à augmenter fortement les rémunérations électives et à professionnaliser un nombre croissant d’élus qui vivent de et pour la politique. La question sensible des indemnités et du métier, occultée et déniée publiquement, joue en coulisse un rôle essentiel et surdétermine tout un ensemble de prises de position et de stratégies. Le PS est par exemple incapable de forger une position commune sur la réforme des collectivités territoriales, tant les intérêts départementalistes et régionalistes de ses représentants divergent.

La gauche se structure ainsi de plus en plus par rapport à une spécificité institutionnelle française : la quantité importante de mandats électifs liés à l’empilement des institutions locales. C’est d’ailleurs ce marché des postes électoraux que le président Nicolas Sarkozy cherche à tarir dans le projet de réforme des collectivités locales annoncé comme un temps fort de la fin de son quinquennat. La création du mandat de « conseiller territorial » doit en effet permettre de réduire le nombre de postes de conseillers régionaux et cantonaux de six mille à trois mille.

Il est convenu depuis quelques années de parler de la « crise » du PS, confronté à des problèmes de direction, de divisions permanentes, et à la démobilisation de ses militants… Mais cette crise reste toute relative. Beaucoup de socialistes se sont repliés dans le confort de leurs bastions, et le parti vit plutôt une crise de croissance locale, qui a vampirisé le centre partisan. Jamais il n’a compté autant d’élus. Les présidences socialistes des conseils généraux sont en progression constante : vingt-trois en 1994, trente-cinq en 1998, quarante et un en 2001, cinquante et un en 2004. Et, à l’issue des victoires remportées cette année-là, il totalisait six cent quatre-vingt-quatorze conseillers généraux et six cent quarante conseillers régionaux.

Le PS comprend en outre un nombre considérable de maires (deux mille neuf cent treize en 2005), auxquels il faut ajouter conseillers municipaux, adjoints et élus communautaires. Il a obtenu un succès historique aux dernières élections municipales, qui a encore accru de manière appréciable ses ressources institutionnelles. Il est même en passe d’être majoritaire au Sénat pour la première fois de son histoire.

Une dépolitisation du discours local

Ces conquêtes de postes nouveaux n’empêchent pas un très faible renouvellement des élites, de plus en plus vieillissantes. Les chances de faire une carrière au sein du PS apparaissent extrêmement restreintes pour tous ceux qui ont intégré le parti après 1981. Beaucoup de jeunes maires et/ou conseillers généraux élus à la fin des années 1970, ou de jeunes députés sans mandat antérieur portés par la vague rose de 1981, sont toujours en place, même s’ils ont changé de mandat en cours de chemin. Un tiers des députés désignés en 1978 et 1981 avaient moins de 40 ans lors de leur élection. Ce pourcentage a baissé régulièrement, pour atteindre 9,9 %en 1997 (année pourtant faste, avec deux cent cinquante-quatre élus) et seulement 4,2 % en 2002. L’âge moyen des députés est, en 2006, de 54 ans, soit à peu près ce qu’il était avant 1971.

Dans ce contexte, chez de nombreux dirigeants socialistes, les vieux réflexes « molletistes » resurgissent : « Laissons le pouvoir à la droite, il y a trop de coups à prendre dans un environnement économique hostile à la social-démocratie, replions-nous sur nos positions locales qui font vivre le PS. » Les élus en place mesurent bien qu’une hypothétique victoire socialiste à l’élection présidentielle aurait mécaniquement, par la logique des « élections intermédiaires », des effets négatifs sur leur ancrage local. Ils se désolidarisent ainsi du devenir national de leur organisation et cultivent leurs fiefs.

Mais à quoi sert, au juste, le pouvoir local ? Les contours du « socialisme municipal » demeurent particulièrement flous, et son exercice ne paraît pas favoriser la politisation. Le local, pourtant doté de marges de manœuvre réelles avec la décentralisation, malgré le désengagement de l’Etat — et la forte baisse des moyens dans les villes ouvrières —, ne semble plus représenter un levier de transformation sociale (comme ce fut le cas dans les années 1970). On se défend de « faire de la politique » à ce niveau, pensé comme relevant essentiellement de la gestion.

Le programme socialiste municipal de 2007 n’était qu’une vague déclaration de principes qui n’inspira que secondairement les candidats. Les régions arrachées à la droite en 2004 devaient se transformer en « vitrines » du socialisme. Il n’en fut rien. Que sont devenus, par exemple, les « emplois tremplins » ? L’apolitisme tient souvent lieu de projet à des élus qui cherchent avant tout à conforter leur implantation et répugnent à un marquage partisan trop net de leur action. La dépolitisation du discours local n’est au total que l’envers de la notabilisation du parti.

La « proximité » suffit à faire un programme. Cette euphémisation politique contribue certainement à la mise en retrait des groupes les moins politisés et des catégories populaires, qui se sont largement abstenues aux élections municipales de 2007. Aucune règle nationale n’a véritablement prévalu dans la constitution des alliances locales lors de ce scrutin. Le PS laisse à ses notables une grande autonomie dans la définition des stratégies et le périmètre des alliances légitimes. Des accords avec le Mouvement démocrate (Modem) ont ainsi pu être conclus dès le premier tour en fonction de « contextes locaux », comme il en sera probablement de même aux prochaines régionales.

La part des élus dans le nombre total des adhérents s’en trouve accrue, renforcée encore par la véritable hémorragie d’adhérents que connaît l’organisation depuis plusieurs mois. Ceux qui ont des mandats tiennent de fait les sections et oscillent entre « malthusianisme » et « clientélisme ». Soit ils ne cherchent pas à développer le militantisme pour consolider leurs réseaux personnels et éviter que de nouveaux venus remettent en cause les équilibres établis, soit ils recrutent des personnes « sûres » et captives (salariés des collectivités locales, collaborateurs parlementaires...). Les congrès se construisent principalement autour du ralliement des grands élus et des fédérations à tel ou tel camp en présence. Mme Aubry a très largement fondé son assise à Reims, en novembre 2008, sur la puissante fédération du Nord, tandis que Mme Ségolène Royal s’appuyait sur celles des Bouches-du-Rhône et de l’Hérault. Les courants, désidéologisés, ne sont plus que des coalitions fragiles d’intérêts contradictoires et des conglomérats de notables locaux. Aussi se révèlent-ils incapables de structurer durablement des rapports de forces.

La professionnalisation du PS travaille aussi le militantisme. Les intérêts professionnels et militants se confondent souvent. Nombreux sont ceux qui dépendent très directement des élus, en raison de la transformation de la fonction publique locale, de la multiplication des structures de cabinet à tous les niveaux des collectivités territoriales et des structures attachées au parti. La place numérique et stratégique occupée par les professionnels de la politique, croissante depuis une vingtaine d’années, en a bouleversé progressivement l’économie interne et l’économie morale. Les intérêts électoraux sont devenus prépondérants à tous les niveaux, ce qui cantonne les tâches d’élaboration programmatique et le travail militant le plus quotidien (en dehors des phases de mobilisation électorale) au plus bas de l’échelle des pratiques.

« Les élus,
et ceux qui veulent leur place »

Alors que se décomposent ses liens avec le monde du travail, les catégories populaires, les enseignants, les intellectuels, les associations, les syndicats… le PS se rétracte sur ses réseaux d’élus. De plus en plus replié sur ses jeux et enjeux propres, il est devenu un entre soi en apesanteur sociale. Les dirigeants socialistes ne cherchent même plus à masquer cette réalité, les plus critiques d’entre eux dénonçant après la défaite aux dernières européennes un « parti de notables » sans proposer pour autant une remise en cause de leur pouvoir. Ce poids des élus rend improbable une explosion ou une scission du parti, qui pourrait apparaître comme une solution à la situation actuelle : trop d’intérêts professionnels sont en jeu. Les élus sont attachés, à tous les sens du terme, à une machine électorale qui les fait vivre et qui demeure particulièrement performante au niveau local. Peu d’entre eux, même parmi les proches de M. Jean-Luc Mélenchon, l’ont ainsi suivi dans la création du Parti de gauche.

Si les écologistes ont, quant à eux, longtemps vu le PS comme un contre-modèle, le même processus de professionnalisation les affecte. Elle semble loin, l’époque où ils défendaient la « politique autrement » et cherchaient à subvertir cette logique. Les Verts ont souvent cultivé une forte méfiance à l’égard des pratiques traditionnelles et des principes de la délégation politique (logique de carrière, concentration du pouvoir, personnalisation, leadership…). Ils ont même, un temps, expérimenté de nouvelles formes d’exercice des mandats — refus du cumul, occupation des sièges à tour de rôle (système dit « du tourniquet ») —, un peu comme les partis ouvriers avaient tenté de le faire à la fin du XIXe siècle.

Ces velléités n’existent plus. Convertis au « réalisme » électoral, les écologistes se sont normalisés et ont pleinement intériorisé les règles du jeu de la démocratie représentative telle qu’elle est. La rotation des mandats n’est plus appliquée. Leur cumul est toléré et largement pratiqué, même si les statuts du parti le réglementent toujours. M. Noël Mamère est député-maire de Bègles depuis trois législatures ; et Mme Dominique Voynet, après s’être engagée à ne détenir qu’un seul poste, est devenue, à la suite des dernières élections municipales, sénatrice-maire de Montreuil.

Cette évolution est justifiée par des arguments désormais classiques : il faudrait mettre en avant des personnalités connues, reconnues et compétentes. Le capital politique va en somme au capital politique, c’est une règle d’accumulation constitutive du jeu politique. M. Mamère déclarait ainsi : « Nous ne pourrons compter face à nos partenaires que si nous avons des élus. Si nous perdons notre implantation, nous sommes morts » (Le Monde, 14 juin 2003). Mme Voynet a fait valoir quant à elle qu’en renonçant à son mandat sénatorial elle ferait perdre un siège à son parti, mais aussi que le cumul serait favorable aux intérêts de sa commune…

Les Verts ne bénéficient pas, comme le PS ou le PCF, de bastions et de bases municipales, ce qui est une faiblesse dans le cadre de scrutins uninominaux (comme les élections cantonales et législatives), où existe une compétition à gauche. Mais leur pragmatisme est payant. Le parti écologiste obtient de plus en plus d’élus et se professionnalise largement. On recense quarante et un maires Verts — trois femmes et trente-huit hommes — sortis des urnes en 2008 (tous dans des villes de moins de dix mille habitants, à l’exception de Montreuil, Bègles, le 2e arrondissement de Paris et Mèze), dont dix-huit exercent leur premier mandat.

A l’issue des dernières cantonales, les Verts disposent de onze élus — trois femmes et huit hommes —, dont quatre sortants. Après les élections régionales de 2004, on recensait chez eux cent soixante-huit conseillers régionaux. Enfin, ils ont cinq sénateurs et quatre députés. Ces chiffres sont considérables si on ajoute les salariés de parti et si on les rapporte au nombre de militants.

Députée écologiste à Paris, passée au Parti de gauche, Mme Martine Billard analyse ce poids grandissant des professionnels de la politique et ses effets sur le parti : « J’estime à deux mille le nombre d’élus et de salariés politiques, sur cinq mille adhérents réels. Ça finit par peser très fortement. Les élus sont absorbés par leur tâche de gestion ; ils se noient dans leur travail, surtout quand ils sont dans les exécutifs, et négligent localement de développer le parti et le militantisme. On a l’habitude d’ironiser chez les Verts en disant que, dans le parti, il y a les élus, les salariés d’élus et ceux qui veulent prendre leur place. Les collaborateurs sont recrutés dans les réseaux militants. Pour les adhérents, l’élection municipale est la plus importante, c’est celle qui les motive le plus. Les listes communes avec les socialistes dès le premier tour, très nombreuses, permettent de sécuriser les mandats locaux. La politique est vue de plus en plus sous un angle professionnel. Les militants, le plus souvent trentenaires, qui arrivent dans le parti veulent être élus. Pour eux, faire de la politique, c’est être élu. Le milieu associatif, qui s’est lui-même beaucoup professionnalisé, vit des subventions des collectivités gérées ou cogérées par les élus. »

L’élection de quatorze députés européens écologistes en 2009 a marqué un certain renouvellement des élites vertes. Mais les nouveaux représentants ne sont pas des néophytes. M. Daniel Cohn-Bendit s’est présenté en France parce qu’il était soumis en Allemagne à une règle de limitation de la durée des mandats. M. Gérard Onesta a abandonné le Parlement de Strasbourg, comme il s’y était engagé, mais il va sans doute être tête de liste aux régionales de 2010. Mme Karima Delli, 29 ans, travaillait pour un sénateur ; Mme Hélène Flautre commence son troisième mandat ; Mme Michèle Rivasi était jusque-là adjointe au maire et vice-présidente du conseil général de la Drôme ; M. François Alfonsi, maire…

Crainte d’un retour
à la vie professionnelle

La problématique du PCF est un peu différente. On observe, certes, un renforcement du pouvoir des élus dans un parti qui cherchait historiquement à les contrôler pour éviter toute dérive de personnalisation notabiliaire (le cumul était globalement interdit jusque dans les années 1970). Le PCF retrouve l’« implantation en archipel » qui était la sienne dans l’entre-deux-guerres : son électorat se dénationalise et se rétracte sur ses bases locales. Le parti s’appuie sur ses élus, poursuivant par là une stratégie d’amortissement du déclin dont le prix est leur forte autonomie. Cette posture de survie explique largement le grand écart du PC, pris entre sa proximité idéologique avec l’extrême gauche et la volonté de préservation des positions locales qu’assure (pour combien de temps ?) l’alliance avec le PS.

L’historien communiste Roger Martelli analyse les écueils de cette orientation : « On est dans une situation d’entre-deux. Il s’agit de maintenir le capital d’élus pour sauver l’appareil, de coller au PS pour préserver les positions locales. Mais enrayer le déclin plutôt que de constituer de nouvelles dynamiques est une démarche défensive. Le poids de la question électorale et des intérêts locaux s’est incontestablement renforcé, mais ils sont conçus comme une condition du maintien de l’appareil, qui demeure le noyau considéré comme nécessaire de l’organisation communiste. Le parti cherche à avoir des élus, leur poids s’est accru, mais, dans les organismes de direction, il n’a pas grandi. La structure partisane verticale et hiérarchique reste une culture enracinée. En même temps, les responsables de parti sont devenus élus, ce qui a toute une série d’effets. Les régionales de 1998 ont été de ce point de vue un tournant. La consigne a été de mettre systématiquement les secrétaires fédéraux sur les listes. Ils ont pris des responsabilités dans les exécutifs. C’est une rupture. C’est une manière de salarier des permanents sur des fonctions électives. Jusque-là, les secrétaires fédéraux demeuraient en retrait des responsabilités gestionnaires pour se consacrer au parti. On entendait alors beaucoup : “Moi, si je ne suis pas élu, je n’ai plus de poste de permanent, mais ma fédération éclate ou se désagrège.” » De nombreux élus d’origine ouvrière, qui vivent de la politique depuis longtemps, craignent un retour à la vie professionnelle susceptible de leur poser de redoutables problèmes de reconversion.

De fait, le fonctionnement et la viabilité du PCF dépendent en grande partie des contributions de ses élus. En 2007, près de dix mille élus locaux lui apportaient plus de la moitié de ses ressources. Le PCF est de loin la formation où ce phénomène est le plus fort.

Au total, les institutions locales tiennent les partis de gauche beaucoup plus que l’inverse. La prime à la « compétence » technicise les problèmes et les dépolitise — y compris dans l’esprit des profanes qui ont intériorisé la division des rôles comme une nécessité fonctionnelle. L’espace politique, ainsi que l’a bien montré Pierre Bourdieu, est un champ autonome, de plus en plus replié sur ses jeux et enjeux propres, imperméables à de nouveaux entrants. Le personnel qui s’y adonne le fait de plus en plus longtemps et s’apparente à une caste inamovible. En 1958, un député sur trois était âgé de moins de 40 ans. Cette proportion a chuté en 2002 à un sur treize. En 2008, les plus de 55 ans représentent pour la première fois la majorité absolue des députés. La règle de la prime aux sortants s’est imposée dans quasiment l’ensemble des formations partisanes.

Loin de contrecarrer cette évolution, la gauche institutionnelle l’a confortée. La professionnalisation qui l’affecte concourt ainsi à l’éloigner socialement et pratiquement des groupes sociaux qu’elle est censée défendre. Entrer en politique, c’est se consacrer à temps plein à une nouvelle activité, et souvent quitter son milieu d’origine pour s’investir dans un nouveau monde social ayant ses règles et ses codes. Avec le temps, il devient difficilement envisageable de faire autre chose. L’absence d’un statut de l’élu, si elle constitue un réel problème, sert d’argument-prétexte pour justifier cette clôture du jeu.

Dès lors, la professionnalisation se mesure à l’aune de la faible représentativité sociale des élus et de l’éviction des catégories populaires. Les enseignants élus députés socialistes au début des années 1980 se sont ainsi très largement coupés d’un milieu où le PS disposait d’un fort ancrage. Les filières syndicales ou associatives du recrutement se sont taries. Dans la dernière Assemblée nationale, plus aucun député n’est d’origine ouvrière. Ces évolutions constituent aussi un obstacle à la recomposition de la gauche. Le patriotisme de parti est à la mesure des intérêts de carrière. Les choix individuels concernant les positions électives priment sur tout et confortent les stratégies d’appareil.

Rémy Lefebvre.



Howard Zinn - Désobéissance civile et démocratie

Voici le texte de présentation du livre d'Howard Zinn, "Désobéissance civile et démocratie".
Howard Zinn (1922–2010) a enseigné l’histoire et les sciences politiques à la Boston University, où il était professeur émérite. Son œuvre (une vingtaine d’ouvrages) est essentiellement consacrée à l’incidence des mouvements populaires sur la société américaine.


"Notre manière de penser est une question de vie ou de mort. Si ceux qui tiennent les rênes de la société se montrent capables de contrôler nos idées, ils sont assurés de rester au pouvoir. Nul besoin de soldats dans les rues. Cet ordre résulte d’un processus de sélection au cours duquel certaines idées sont promues par le biais des plus puissantes machines culturelles du pays. Nous devons réexaminer ces idées et réaliser comment elles s’opposent à notre expérience du monde. Nous serons alors en mesure de contester l’idéologie dominante.

De l’exercice de la justice aux motivations réelles des guerres, en passant par les conditions d’entretien de la violence économique et sociale, l’auteur illustre la manière dont la tenue des affaires du monde, c’est-à-dire de nos affaires, devrait être entre nos mains. Et toujours chez Howard Zinn le même optimisme sur la nature et le destin de l’humanité : l’histoire ne réserve que des surprises, et elles ne sont pas toutes mauvaises."

Comment pourrait-on être plus synthétique et efficace pour illustrer ce qui doit rester notre priorité, à savoir lutter pour démolir l'idéologie dominante.

dimanche 21 mars 2010

USA : la classe ouvrière peut-elle sortir du cauchemar ?

Dans le même esprit que les articles précédents1, il s’agit de montrer que pour les travailleurs, l’Amérique est un cauchemar, non pas tant du point de vue de la paupérisation qui les frappe mais essentiellement sous l’angle des contraintes qui les brident pour exprimer leurs revendications et aspirations, car, contrairement au sens commun, ils disposent de très peu de droits syndicaux.

Dans un écrit antérieur2, j’avais déjà souligné que les syndicats domestiqués, bureaucratisés, se heurtaient à la résistance de la base. Il convient d’y revenir pour insister sur les difficultés rencontrées au moment même où la crise et le chômage nécessitent des formes d’initiatives renouvelées. Par ailleurs, des points de vue formatés à partir de la situation européenne obscurcissent une réalité méconnue : grande combativité, racisme, poids de l’idéologie dominante, désespoir, xénophobie, alliances innovantes, répression, grande précarité, ces termes mis bout à bout pourraient déjà rendre compte d’une situation complexe sans l’expliquer véritablement. Dans le cadre de cet article, je ne peux qu’évoquer certains traits à mon sens significatifs qui augurent, vraisemblablement, d’un renouveau intempestif si, comme on peut s’y attendre, les effets de la crise et de la désindustrialisation du pays provoquent des mobilisations comme ce fut le cas déjà à Seattle en 1999.

Le mouvement syndical extrêmement combatif à l’origine a été jugulé par des lois liberticides qui ont à voir avec la spécificité de l’Histoire des Etats-Unis. Au cours du temps, la législation, à la différence de la situation de nombreux pays européens, a corseté davantage la classe ouvrière contraignant la « base » syndicale à recourir à des stratégies nouvelles.


Des syndicats soumis aux juges des libertés ( !)


En Angleterre, en France … l’Etat, bien que se situant du côté des employeurs, s’est institué en arbitre formalisant les limites et les avantages acquis pour contenir, juguler l’intempestivité de la classe ouvrière. Il constatait à la fois un rapport de forces et empêchait que son développement ne mette en cause l’existence même de la classe dominante. Aux USA, l’Etat fédéral n’intervient pas (ou si peu et nous verrons comment), ce sont les tribunaux qui jouent ce rôle au désavantage des travailleurs, et ce, au nom de la liberté.


Lorsque les coalitions ouvrières commencèrent à se former dès 1830, et à développer, face à la misère et à la surexploitation, des actions extrêmement combatives, ils se heurtèrent aux tribunaux qui qualifièrent leurs activités de « conspirations anti-commerciales », « illégales ». La grève était une menace, un chantage dans la mesure où elle contrevenait à la liberté contractuelle des ouvriers et des patrons ( !). Bref, le « droit de discuter le prix de son labeur » était considéré comme subversif à l’encontre des employeurs et de l’Etat3.


Cette liberté des plus forts sanctionnée par les juges qui n’hésitaient pas à recourir aux forces armées, à la police pour procéder à des emprisonnements massifs et à briser par la force les grèves n’empêchèrent pas des luttes importantes, violentes, y compris pour la journée des 10 heures, puis des 8 heures. Face à l’ampleur des mouvements, malgré leurs réticences idéologiques à faire appel à l’Etat, les employeurs firent pression, avant même la guerre de Sécession, auprès du Congrès. Il s’agissait pour eux (et ils obtinrent satisfaction) de leur permettre de recruter des travailleurs étrangers pour autant que ceux-ci acceptent qu’on leur retire 12 mois de salaire pour payer leur émigration. Ils pouvaient dès lors disposer d’un contingent de briseurs de grèves « non contaminés ». La liberté d’embaucher et de débaucher était sauve. Après la guerre de Sécession et la libération des Noirs qui partirent pour nombre d’entre eux dans les régions industrialisées du Nord, l’utilisation de la haine raciale devint un substitut à la frustration de classe. Elle n’empêcha pas pour autant les vagues de grèves qui touchèrent de nombreuses villes et les occupations d’usines en 1933-34, malgré leur caractère illégal, du moins considéré comme tel par les tribunaux à la solde des nantis. Le Congrès se devait d’intervenir … pour reconnaître la réalité des grèves et briser le « défi socialiste »4.


Une législation despotique


En 1935 donc, la loi NLRA, de législation nationale du travail, fut votée. Elle reconnaissait la possibilité de contrats collectifs entre ouvriers rassemblés dans un syndicat et leur employeur, toutefois, pendant la durée du contrat (ou de la convention collective au sens français du terme), la grève restait interdite ( !), les grèves spontanées illégales, les syndicats ayant le droit, voire l’obligation de briser ce type de grève, les employeurs, la liberté de renvoyer et de remplacer les grévistes. Cette législation inaugurait la mise sous contrôle des ouvriers, des grèves et des syndicats et suscita la naissance d’une bureaucratie syndicale, coupée des travailleurs n’intervenant qu’en amont de la fin du contrat pour engager de nouvelles négociations. Mais ce n’était pas suffisant. Outre les aspects anticommunistes, maffieux, malgré les provocations et les infiltrations policières5, malgré les engagements de l’AFL et du CIO6 de ne pas faire grève pendant la 2ème guerre mondiale, malgré l’attitude plus qu’équivoque du Parti stalinien pourchassé, « il y eut au cours de cette période 14 000 grèves impliquant quelques 6 700 000 travailleurs »7, une nouvelle législation s’imposait.


Ce fut, en 1947, la loi Taft Hartley, dite « loi du travail servile ». Elle restreint le droit de grève en énumérant « les pratiques de travail injustes » du point de vue des employeurs, à savoir les piquets de grève massifs, les occupations des lieux de travail, les sit-in, les boycotts, les grèves de solidarité, les grèves générales, autant d’actions employées par les ouvriers démontrant leur combativité qu’il fallait juguler en les déclarant illégales.


En 1960-70, période qui inaugure la déréglementation et la libéralisation sauvage, les grandes firmes confrontées à la concurrence ne peuvent plus se contenter de contrats « réservés » avec l’Etat, de productions subventionnées. Elles sous-traitent, délocalisent, liquident les entreprises non rentables (acier, mines, conserveries …). Lors des négociations salariales, elles exigent de nouvelles concessions : gel des salaires, suppression des jours de vacances, réduction des « avantages » sociaux (santé, retraites). Des luttes défensives ont lieu dans ce qu’il sera convenu d’appeler ensuite la « ceinture de la rouille » ou les villes-fantômes dans la région des anciens sites sidérurgiques. Malgré l’engagement de syndicalistes radicaux, tels Ron Weiser, l’existence de comités de chômeurs, il sera impossible de vaincre au sein de la classe ouvrière les réactions nationalistes et xénophobes et les ravages qui de désespoir en dépressions atomiseront les rangs (divorces, alcoolisme, suicides). Ces années là seront marquées par les délocalisations, la chute des effectifs syndicaux et une nouvelle offensive de la classe patronale combinant recours aux nouvelles technologies informatiques et baisse du prix de la force de travail : production juste à temps, précarisation, sous-traitance, accélération des cadences, réductions d’effectifs, allongement de la durée du travail, management par le stress. La résistance de la base y répondra par l’absentéisme, l’indiscipline, le ralentissement des cadences, voire le sabotage.


En juin 1998, les grèves contre les délocalisations touchent l’automobile, en particulier General Motors ; pendant 7 semaines, 19 usines sont paralysées. Le patronat y répond par la mise au chômage technique de 79 000 ouvriers. Ces affrontements durs, prolongés, qui ne trouvent pratiquement aucun écho dans les médias, se traduisent par des échecs du mouvement ouvrier. Il est vrai qu’ils n’impliquent réellement qu’un nombre limité d’ouvriers. Quant à la classe dominante, elle fait preuve d’une détermination sauvage. Un exemple parmi tant d’autres : en 2002, à New York, les employés des transports publics déclarent leur intention de faire grève. Le Maire de la ville, Guilliani, refuse toute négociation, menace le syndicat d’une amende d’un million de dollars pour chaque jour de grève et tout gréviste, d’une amende de 25 000 dollars pour le 1er jour de grève, de 50 000 pour le second, de 100 000 pour le 3ème ( !). Il n’y aura pas de grève … Le seigneur Guilliani restera maître sur ses terres. N’y a-t-il plus aucun espoir au sein de « l’Empire » ?


Briser les barrières pour briser ses chaînes. Est-ce possible ?


A la législation despotique qui entrave la liberté collective des travailleurs de se mobiliser pour défendre leurs intérêts, se surajoute, depuis au moins les années 1930, le poids de l’idéologie dominante. Toutefois, il est difficile aujourd’hui d’invoquer le spectre du communisme, même si le terrorisme et la xénophobie s’y sont substitués depuis. Il n’empêche, face à ces barrières structurelles et idéologiques, le mouvement syndical affaibli semble renaître des ses cendres.


Il est difficilement concevable, en France, de s’imaginer les obstacles que doivent surmonter les ouvriers pour constituer un syndicat, là-bas. La syndicalisation aux USA n’a rien à voir avec la collecte d’adhésions individuelles et la déclaration de l’existence d’une section si peu représentative soit-elle. Pour exister dans l’entreprise, le syndicat doit franchir des barrières juridiques libérales ( !) difficilement surmontables sans mobilisation de masse. Il faut premièrement qu’un noyau d’activistes, véritables casse-cou par rapport à leur « sécurité » d’emploi, récoltent au moins 30 % de signatures des employés de la boîte pour qu’ils soient en mesure de demander la tenue d’un référendum autorisant l’existence du syndicat. L’employeur, c’est sa liberté, peut toujours contester le bien fondé du recueil des signatures devant le tribunal. Si les instances judiciaires ne lui donnent pas raison ou s’il n’y recoure pas, il faut encore que les travailleurs se prononcent à 50 % plus une voix pour que le syndicat soit reconnu. Ce qui lui donne le droit d’entamer des négociations pour la signature d’un contrat collectif valable pour plusieurs années.


Les patrons peuvent également orchestrer des campagnes de désyndicalisation pour organiser un nouveau vote en leur faveur, s’ils obtiennent une majorité, le syndicat est dissous. Autres particularités contraires au pluralisme et à la liberté de se syndiquer que nous connaissons : il ne peut exister qu’un seul syndicat par entreprise et beaucoup de salariés ne disposent pas du droit de se syndiquer : les cadres, et tous ceux qui disposent d’un pouvoir hiérarchique de quelque niveau que ce soit ainsi que les employés du gouvernement fédéral. Cette dernière disposition a été et peut encore être étendue au niveau des différents Etats. Les piquets de grève sont autorisés pour autant qu’ils soient symboliques donc inefficaces, sous peine d’entrave à la liberté du travail. Les ouvriers sont libres d’abandonner leur travail pour la grève, les employeurs sont libres de les remplacer ( !). Bref, la protection contre les licenciements est une peau de chagrin, les congés ne sont pas garantis par la loi et en fin de contrat collectif, les employeurs ne sont pas dans l’obligation de négocier. Les grèves régionales, nationales ou de solidarité sont prohibées. Face à la guerre ouverte qui leur est menée et à la désindustrialisation en cours aggravée par la crise, il n’y a guère lieu de s’étonner de la baisse de la syndicalisation bien que son taux reste supérieur à celui de la France : 36 % en 1953, 12 % en 2006 et bien moins aujourd’hui (environ 7 %). Et pourtant, un récent sondage révélait que la moitié des travailleurs aimerait être syndiquée. Il faut souligner à cet égard que les retraites, prestations sociales sont conditionnées en grande partie par l’existence d’un syndicat.


Une autre difficulté et non des moindres puisqu’elle imprègne les cerveaux, consiste à se défaire du poids de l’idéologie dominante.


Elle est constituée d’un conglomérat de croyances, celles d’un pays de la liberté, au destin manifeste, qui peut diffuser le Bien partout dans le monde pour autant que l’on accepte la suprématie blanche, occidentale. Cette liberté de l’individu se résume à sa capacité à faire des affaires sans l’intervention de l’Etat : le sens du collectif, la solidarité contreviendraient à son épanouissement. Quant aux perdants, ceux qui ne réussissent pas, ils n’auraient à s’en prendre qu’à eux-mêmes. Les partis républicain et démocrate n’ont jamais tempéré, encore moins remis en cause, cette sacro-sainte liberté d’entreprise et du droit patronal absolu qui, comme une marque d’infamie, rend l’individu responsable de sa pauvreté ou de l’exploitation qu’il subit. Le « défi socialiste » posé par le mouvement syndical à son origine, n’a pas pu se traduire par l’existence d’un parti qui dans l’arène politique aurait relayé les intérêts de la classe ouvrière. Les différentes tentatives se sont avérées infructueuses malgré le courage de nombre de militants8. La chasse impitoyable aux radicaux, aux anarchistes, aux communistes y est bien sûr pour quelque chose.


Toutefois, la déferlante raciste et réactionnaire en col bleu ne saurait être négligée. « Du puits des frustrations jaillissent les bulles de racisme et d’anticommunisme »9. A cela, il faut ajouter comme complément à la croyance dans le « destin manifeste », un nationalisme xénophobe que le messianisme militariste des USA n’a fait que renforcer y compris dans les productions hollywoodiennes les plus caricaturales.


Enfin, comme nous l’avons déjà évoqué, la classe dominante, toujours à l’offensive de la lutte des classes, a toujours fait preuve d’une très grande pugnacité répressive. L’histoire des USA est celle où le nombre de militants d’ouvriers et de syndicalistes emprisonnés ou tués fut certainement le plus important surtout dans la période précédent le New Deal. Il prend certes aujourd’hui d’autres formes qui sont largement méconnues. Les campagnes contre le droit de grève au nom de la liberté du travail, c’est classique ; ce qui l’est moins, ce sont les « unions busting », littéralement actions de démolition des syndicats. Les entreprises utilisent, après avoir eu recours à la maffia au « beau » temps du maccarthysme, les services d’avocats spécialisés pour entamer des procédures contre les syndicats. Ils utilisent toujours des nervis pour casser les grèves. Et depuis Bush, l’administration états-unienne dispose de la législation anti-terroriste.


Sans conteste, dans ces conditions, les grèves sont difficiles, les syndicats pensent qu’il est impossible de gagner, les délocalisations brutales, le recours aux travailleurs remplaçants les laissent désarmés, ils luttent souvent pour empêcher leur propre disparition même du point de vue de la survie de leur propre bureaucratie. Malgré cela, de nouvelles formes de luttes sont apparues : les grèves sur le tas, ou ce qui est appelé « faire marcher l’usine à reculons » : ralentissements, grève du zèle. Ce qui est peut-être le plus significatif c’est la grande scission syndicale qui s’est produite depuis 1935. En 2005, 6 syndicats ont quitté l’AFL-CIO pour former la Fédération « Change to win » entraînant 6 millions de membres (soit 1/3 de l’AFL-CIO). Dans le cadre d’une paupérisation des couches populaires et moyennes, une nouvelle stratégie de mobilisation s’est mise en place sans que l’on puisse encore se prononcer sur sa pertinence en terme d’organisation de classe et de formation d’alliances durables. Elle consiste à penser que les travailleurs ne peuvent gagner seuls en se battant uniquement dans leurs entreprises. D’où les campagnes « politiques » sur les violations des lois et des règlements, le harcèlement de Wall Mart par exemple. Les syndicats font donc appel à des alliés, forment des coalitions avec des étudiants, des leaders religieux, des groupes communautaires, des écologistes radicaux, des altermondialistes … Ils luttent également pour contourner les lois despotiques du travail en particulier pour la reconnaissance des bulletins collectés pour la création de syndicats, et ce, en lieu et place des votes organisés dans les entreprises. Pour l’heure, ils ont connu des succès dans des secteurs encore marginaux et surtout auprès des Latinos et des Noirs.


Si, comme on peut le penser, le fossé entre les super riches et la « plèbe » va continuer à se creuser, si la classe moyenne continue de s’effriter, des digues vont sauter. L’obamaphobie qui se diffuse est un signe équivoque. La xénophobie, le racisme, la peur de l’ennemi intérieur, du terroriste et demain du péril jaune, peuvent être agités pour détourner les ouvriers et classes moyennes paupérisées du véritable combat à mener. Dans les mois qui viennent il faudra être attentif à ce qui se passe au cœur de « l’Empire ». De ses entrailles pourrait surgir un renouveau porteur de transformations sociales majeures accélérant l’effritement de son « obstination à vouloir imposer sa toute puissance sur le monde et aboutissant à révéler son impuissance »10. En tout état de cause, les contradictions internes de la superpuissance en déclin seront activées également par celles qui agitent l’ensemble du monde.


Gérard Deneux le 16.03.2010

1 « Etats-Unis : le rêve n’est qu’un cauchemar » n° 208 ACCpES octobre 2009, suivi de « Cauchemar états-unien » n° 209 novembre 2009, puis de « USA : la puissance de l’impuissance » n° 212 mars 2010

2 « L’oppression patronale et le renouveau syndical aux Etats-Unis » paru dans « l’Emancipation Sociale » bulletin n33 mai-juin 2004 – rédigé à partir du livre de Rick Fantasia et Kim Voss « Des syndicats domestiqués. Répression patronale et résistance syndicale aux Etats-Unis » édition Raisons d’agir

3 Sources de cet article « Une histoire populaire des Etats-Unis » Howard Zinn, édition Agone

« Le syndicalisme au défi du 20ème siècle » ed. Syllepse – articles de Mark Kesselmann et d’Alan Draper « Stratégies des multinationales et ripostes ouvrières » Marianne Debouzy – in « l’exemple américain » – revue Agone

« Etats-Unis. Un vrai corset législatif » Osa Bear in La question sociale - 2004

4 Cité par Howard Zinn. Pour connaître l’histoire de l’émergence du mouvement, lire notamment le chapitre X « L’autre guerre civile » et le chapitre XIII « Le défi socialiste » de l’ouvrage cité ci-dessus

5 Lire l’excellent roman noir de Valério Evangelisti « Nous ne sommes rien, soyons tout » édition Rivages Thriller

6 American Federation of Labor (AFL) et Congress of Industrials Organizations (CIO)

7 Howard Zinn – page 473

8 Il conviendrait de relire « La révolution aux Etats-Unis » de James Boggs et Robert Williams – ed. François Maspero (1966) ainsi que les romans d’Upton Sinclair et de Jack London

9 Andrew Kopkina, journaliste militant cité par Marianne Debouzy

10 Paraphrase de la conclusion du livre de Emmanuel Todd « Après l’Empire. Essai sur la décomposition du système américain» ed. Gallimard 2003

Débat: faire de la politique ou vivre de la politique ?

Les Amis de l’Emancipation Sociale et les Amis du Monde Diplomatique vous invitent à un débat avec

Rémi Lefebvre

Professeur de sciences politiques

Co-auteur de « La société des socialistes » avec Frédéric Sawicki

Sur le thème

Faire de la politique ou vivre de la politique ?

Mercredi 31 mars 2010

20h30 à BELFORT

Maison du peuple (salle 327) entrée libre et gratuite



Le Parti Socialiste « verdissant » (GRRRRRRR !!!!!!) est-il une alternative, alors même qu’il ne nous promet aucune transformation sociale radicale et que l’essentiel de ses membres sont des élus « professionnels » de la politique qui pensent déjà à conserver leurs places dans les appareils idéologiques d’Etat ? « L’espace politique est un champ autonome, de plus en plus replié sur ses jeux et enjeux propres, imperméables à de nouveaux entrants … Loin de contrecarrer cette évolution, la gauche institutionnelle l’a confortée ». « Entrer en politique, c’est souvent quitter son milieu d’origine pour s’investir dans un nouveau monde social ayant ses règles et ses codes ». La professionnalisation de la politique est contraire à la démocratie. Faut-il, dès lors, s’étonner de l’abstention de plus en plus grande aux élections ?

mercredi 10 mars 2010

Etats Généraux des Services publics

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Contribution au débat par Gérard Deneux

Quelle mobilisation pour quels objectifs ?


Je m’inscris dans la démarche de mobilisation « Pour des Etats Généraux des Services Publics », toutefois, à la lecture de l’appel et pour avoir participé à une « rencontre à Lure le 24 février dernier, ce processus me semble entaché d’ambiguïtés qu’il faudrait lever. C’est le sens de cette contribution.

(Le site où est disponible le texte : http://www.etats-generaux-du-service-public.fr/)

Le texte fait le constat au vu des mobilisations antérieures, de l’existence d’un potentiel de résistance par rapport à la politique de démantèlement des services publics que nous subissons depuis près de 30 ans. Il appelle également à une « élaboration conceptuelle » pour dégager des perspectives dont l’objet serait de faire apparaître un « choix de société ». Il y a donc lieu au cours de cette « campagne nationale » de différencier ce qui est de l’ordre de la « mobilisation efficace », des objectifs à atteindre. Commençons par quelques remarques sur la conjoncture.


I – De quelle mobilisation avons-nous besoin ?


1 – De la résistance à reculons à l’offensive ?


La lucidité ou le pessimisme dans la réflexion est notre meilleure arme pour définir les formes et les contenus des mobilisations à venir. Il n’y a pas lieu par le recours à des formules incantatoires d’ajouter des désenchantements à venir au désabusement actuel pour au moins deux raisons que les citoyens ont plus ou moins intégrées.


  • Depuis 1983, les différents Gouvernements ont entrepris un processus de démantèlement des services publics : compression d’effectifs, séparations structurelles, privatisations, filialisation et délégation au privé, concentration-restructuration1. Certes, en France notamment, les résistances ont été vives mais elles se sont traduites par des défaites, des reculs, des coups d’arrêt et de nouvelles défaites. Il y a donc lieu de passer de la résistance à reculons à la contre-offensive. Les conditions sont-elles réunies ?

  • Il est faux, à mon sens, d’affirmer que « les politiques libérales viennent d’exploser dans la crise » en laissant penser qu’une autre orientation va être mise en œuvre. Les dominants vont continuer de plus belle comme avant la crise. Après le renflouement des banquiers et des spéculateurs, c’est reparti, aucune régulation de type keynésien n’a été mise en œuvre. La domination du capital financier n’en a été nullement affecté bien au contraire, faute d’ailleurs de véritable mobilisation populaire. L’avenir prévisible que nous trace Klaus Schwab, Président de l’exécutif du Forum Economique mondial (DAVOS) est très éloquent. Il mérite d’être cité. Dans un article du Monde du 6 janvier 2010, il écrit notamment : « Les milliers de milliards engagés pour colmater les brèches pèseront de tout leur poids sur la croissance économique, d’où les hausses d’impôts, les restrictions touchant le système social et le système de santé et une compression des dépenses d’infrastructure pour l’éducation et les transports notamment. En dernière analyse, c’est le contribuable qui sera appelé en renfort pour surmonter la crise au prix de la dégradation de son revenu. Le danger existe donc que la crise financière et la crise économique qu’elle entraîne débouche sur une crise sociale. Les temps à venir seront difficiles ».


Autrement dit, le processus de dégradation va s’amplifier pour résorber la dette des Etats en faisant payer la crise aux salariés et en outre, ce gérant du forum, qui réunit régulièrement « les maîtres du monde », les prévient : vous devez affronter les masses populaires pour leur faire admettre qu’il n’y a pas d’autre solution que l’approfondissement de leur paupérisation. D’ailleurs cette politique est déjà à l’œuvre en Grèce, en Espagne, en Irlande …


Dans « l’opinion », l’idée que les politiques dites libérales sont néfastes est certes de plus en plus partagée et la contre offensive à mener dans des conditions difficiles doit effectivement se fonder sur cette certitude. Mais il n’y a pas forcément lieu de s’en réjouir, d’une part parce que les dominants sont à l’offensive et que, d’autre part les conditions d’une contre offensive sont encore loin d’être réunies.


2 – Les obstacles à surmonter pour passer à la contre offensive


Nous assistons à trois phénomènes qui, en se conjuguant dans la situation présente, peuvent tétaniser toute tentative de mobilisation efficace.


  • Le recul des droits économiques et sociaux vécu comme une fatalité : paupérisation, précarisation, baisse des pensions, logements inaccessibles … La « nécessité » de réduire les déficits qui va nous être assénée comme une solution incontournable afin que les actionnaires, les banques qui ont souscrit des emprunts d’Etat puissent être remboursés (après avoir failli) ainsi que la multiplication des réactions corporatistes ou de luttes isolées finalement circonscrites, annoncent déjà les reculs auxquels il faudrait consentir. La « bataille » des retraites, si elle n’est pas liée à celle de l’emploi et au choix de société, s’annonce déjà comme la défaite à venir du « public » contre le « privé » sur le mode de calcul des pensions. Le pouvoir brandira la règle de l’équité pour obtenir leur baisse.

  • Les mobilisations plus radicales se heurteront aux dispositifs mis en place depuis plusieurs années : surveillance, fichiers, criminalisation des mouvements sociaux, répression accrue

  • Enfin, les politiques libérales ont produit des phénomènes de division, de fragmentation de la société. Le pouvoir les instrumentalise et les forces sociales, syndicales, politiques dominantes à gauche, soit les ignorent, soit en jouent également pour conserver des « fonds de commerce » corporatistes. Pour illustrer ce propos, il suffit de penser aux campagnes médiatisées qui opposent les usagers aux grévistes, les chômeurs « assistés »s aux actifs, les étrangers aux nationaux, les quartiers populaires aux classes moyennisées, les français issus de la colonisation aux français de souche …

Or, bien évidemment, une mobilisation populaire pour le « rétablissement » renforcement des services publics notamment, nécessite d’unir ce qui est désuni et, par conséquent, de tenir le plus grand compte des contradictions qui traversent ceux que l’on prétend rassembler. A moins que l’on considère, dans une répartition des rôles équivoques, que la mobilisation sociale est une sorte de groupe de pression sur les partis politiciens afin qu’ils « rentabilisent » au moment des élections, les orientations et idées proclamées dans la société dite civile ( !). Il ne semble pas que l’on puisse faire ce « reproche » au texte de l’appel qui proclame la nécessité de « bâtir ensemble une perspective crédible », un véritable « choix de société » différente, « le 21ème siècle devant être l’âge d’or du service public ».



II – Quelles perspectives ?


Cela a déjà été souligné, les perspectives ne sont pas réductibles aux mobilisations immédiates ou prévues au cours de l’année 2010. Au cours du débat à Lure, cette confusion était à mon sens à l’œuvre, plus ou moins inconsciemment, elle est d’autant plus tentante qu’elle évacue sans le dire le nécessaire débat politique et l’expression de divergences dont l’exposé doit faire débat. Cette ambiguïté occulte non seulement la réalité à laquelle nous sommes confrontés mais conforte également une conception sous-jacente de « l’Etat des services publics ».



1 – Réinvestir l’Etat ?


Si un accord général sur le constat du processus de démantèlement des services publics rassemble les associations, syndicats, partis qui entendent participer à la mobilisation en faveur de services publics étendus, voire rénovés, son origine politique fait pour le moins débat. Ainsi en est-il de la notion de retrait de l’Etat qui ne demanderait qu’à être réinvesti alors même que c’est son action volontaire qui, depuis, 1983, déstructure, privatise les services publics. Les différents gouvernements qui se sont succédé, au nom de la compétitivité internationale, de la modernisation, ont servi les intérêts d’une oligarchie financière devenue dominante. Comme Kessler2 l’a cyniquement affirmé, il s’agit de déconstruire tout le programme keynésien du Conseil National de la Résistance, mondialisation capitaliste oblige. Les contre-réformes promues traduisent bien au contraire un fort engagement des gouvernements et de la puissance étatique. Que l’on songe à titre d’exemple, au rôle joué par les préfets sanitaires. Outre que le « réinvestissement de l’Etat » n’en changerait pas la nature, cette perspective fait l’impasse sur la nature des forces dominantes qui occupe des places stratégiques et l’idéologie qui les anime.

Par ailleurs, est passé sous silence le caractère bureaucratique, hiérarchique de cet Etat où les principes même du fonctionnement proclamés sont bafoués : monarchie élective, exécutif tout puissant, non séparation des pouvoirs, pouvoir des baronnies politiciennes, « démocratie » d’opinion à coup de sondages et de marketing politique etc. C’est un leurre de croire que l’Etat tel qu’il est, tel que son fonctionnement présidentialiste a été aggravé par Jospin peut être réinvesti. L’appel ne prétend pas cela, il laisse penser que les services publics peuvent être étendus sans s‘en prendre à l’Etat et au pouvoir en place.


2 – L’extension de la notion de Biens communs et « l’Etat des services publics »


La notion de Biens communs de l’Humanité est pertinente pour tous ceux qui luttent en faveur d’une transformation sociale profonde et entendent soustraire de larges secteurs de l’économie aux griffes prédatrices du capital. L’eau, l’énergie, l’éducation, les transports, la santé, le logement, l’accueil des enfants … sont autant de secteurs producteurs de services dont les actionnaires doivent être exclus. Mais il faut aller au bout du raisonnement et dire comment il convient de procéder et pourquoi. Avancer, par exemple, la notion de gratuité c’est vouloir promouvoir non seulement l’idée d’égalité mais surtout opter pour un choix de société où le salaire indirect connaîtrait une extension considérable au détriment du « pouvoir d’achat » et de l’inégalité des rémunérations. Cet objectif reste insuffisant si l’on ne s’attaque pas au pouvoir des multinationales, aux banquiers et aux spéculateurs, si l’on ne dit pas ce qu’il en serait de la production de biens marchands alors même que le tissu industriel et agricole se délite sous l’effet de la concurrence et des délocalisations. Et pour être un brin provocateur, peut-on se passer des actionnaires, des spéculateurs, des traders ? Faut-il les inclure ou les exclure de cette notion consensuelle d’intérêt général jamais rapporté aux divergences d’intérêts de classes ?


L’autre question qui demeure, celle décisive dans la notion de contre offensive, est celle des modalités de mise en œuvre des biens communs à instaurer. Expropriation sans indemnités, socialisation, autogestion, planification démocratique, étatisation ? Sans entrer dans ce débat essentiel, qu’il suffise de rappeler la « catastrophe » des nationalisations qui ont permis par les indemnités versées, à socialiser les pertes du capital et à privatiser les gains : la « reconversion » de la sidérurgie a été exemplaire à cet égard. Par ailleurs, l’augmentation de la fiscalité pour faire fonctionner des services publics élargis ne saurait suffire par elle-même à assujettir les forces dominantes du capital financiarisé.


Enfin, une ambiguïté est à lever : ce que nous voulons ne saurait se réduire à l’Etat des services publics. Le choix de société ne peut consister dans l’instauration d’une société de fonctionnaires disposant d’un statut d’indépendance et d’élus qui les dirigeraient. Ce serait là, à mon sens, revenir à la conception surannée, promue par le juriste Léon Duguit, prétendant que la société de coopération des services publics, organisée et contrôlée par l’Etat pour remplir une fonction de gestion, libérerait les individus alors même qu’il ne ferait qu’en multiplier la puissance tout en lui conférant une légitimité nouvelle.


III – Pour ne pas conclure


Ces quelques remarques n’ont pour but que de participer au débat en cours. Certes, un appel, texte de compromis entre différentes organisations, ne peut tout dire, tout solliciter. Son objectif est de lancer le débat pour une « élaboration conceptuelle » pertinente. Il n’empêche que dans la conjoncture actuelle, il convient d’être à la hauteur des vrais enjeux et ce n’est pas simple, dans la mesure où un certain nombre de « croyances » s’effritent et où le nouveau qui apparaît est marqué par un flou qui opacifie la perspective de transformation sociale et politique. Que l’on songe, à titre d’exemple, à la perspective de l’Europe sociale portée par nombre de « secteurs progressistes » alors même que l’Europe du libre échange se délite, les nationalismes resurgissent et la volonté des puissants prévaut pour démanteler les acquis sociaux et les services publics (Grèce, Espagne …).



Gérard Deneux

Amis de l’Emancipation sociale

Le 26.02.2010


1 Cf article dans le Monde Diplomatique de décembre 2009 « Comment vendre à la découpe le service public. De l’Etat-providence à l’Etat manager » par Laurent Bonelli et Willy Pelletier

2 Ex n° 2 du MEDEF et tête pensante du patronat « libéral »