lundi 1 mars 2010

USA - La puissance de l’impuissance

Lors d’un précédent article1, constat a été dressé que le rêve américain, cette illusion nécessaire au maintien de l’hégémonie de l’oligarchie états-unienne sur sa propre population, était devenu un véritable cauchemar. Le traumatisme engendré par la crise financière, malgré les espoirs entretenus par les médias, risque d’être durable. Il crée déjà des phénomènes nouveaux qui apparaissent comme des moyens de combler les fissures résultant d’un système hégémonique intérieur défaillant. Ce n’est pas seulement au cœur de « l’Empire » que l’on est passé avec autant de rapidité d’une Obamania flamboyante à une Obamophobie délirante.
Il convient d’abord de revenir sur le traumatisme introduit par les effets de la crise aux USA et sur les moyens dont se dote le système pour tenter de le surmonter. Reste que ladite « hyperpuissance » célébrée ou dénigrée - il n’y a pas si longtemps – est encore moins aujourd’hui qu’hier ce qu’elle prétendait être. Sa puissance militaire et financière révèle son impuissance à assujettir le monde. Mais le tigre blessé peut être plus dangereux à moins qu’un antidote puissant lui soit administré. Mais rien n’est moins sûr.

I – Appauvrissement, obamaphobie et union sacrée

L’appauvrissement des travailleurs pauvres est vécu comme un véritable traumatisme dans une société où était vantée la réussite individuelle. Il renforce en fait la division de ceux qui devraient s’unir. Face aux irritabilités sociales, Obama s’attache à prôner l’union sacrée pour préserver les intérêts de l’oligarchie.

1 - Des travailleurs pauvres toujours plus pauvres

Quelques chiffres suffisent à montrer l’ampleur du traumatisme subi2. Si le taux officiel de chômage est de 10 % de la population active, il atteindrait de fait plus de 17 % si on y inclut les chômeurs non indemnisés et tous ceux qui galèrent dans des emplois précaires. Mais ces moyennes ne disent encore rien sur l’ampleur de la souffrance sociale : « En mars 2009, le taux de chômage des 16-24 ans atteindrait 34,5 % ». Quant aux vieux, ils s’accrochent au travail autant qu’ils le peuvent en raison des coups portés aux systèmes de retraite (chute d’un capital placé en actions). Toutefois, selon le Financial Times du 14.09.2009 « De plus en plus d’Américains disent qu’ils sont pris dans un courant irrépressible qui les jette à la rue et ils ne prennent plus du tout cela comme une défaite personnelle ». C’est qu’en effet 8,7 millions d’emplois ont disparu depuis le début de la crise. « En 2005, 47 millions d’Américains, soit 16 % de la population n’avaient aucune couverture sociale, en 2008, ils seraient 25 % ». Le survie des plus pauvres est assurée par l’assistance alimentaire qui donne droit à des achats à concurrence de 133 dollars par mois et par personne. En 2005 déjà 14 % (dont 26 % de Noirs) y avaient recouru. Fin 2008, 32,5 millions d’Etatsuniens en bénéficiaient. En mai 2009, 34,4 millions ont demandé cette aide. Autrement dit, le Sud gangrène le Nord.

L’état de délabrement de cette société dominée par une minorité d’hyper riches se lit également dans le tissu urbain et dans les réactions de sauve-qui-peut qui semblent gagner une partie de la population.

Dans un précédent article3 nous avons rendu compte des saisies immobilières. L’on peut y venir sous un autre angle. Des villas achetées à crédit sur 30 ans à plus de 800 000 dollars ont perdu plus de 40 % de leur valeur initiale. Les propriétaires insolvables cessent de rembourser. Ils seraient plus de 11 millions dans ce cas, soit 23 % des emprunteurs (jusqu’à 63 % dans certains Etats comme la Californie, la Floride, le Nevada, etc.). Que la banque se débrouille avec « mon » bien, « j’me tire » ! Les médias dénoncent ce comportement « immoral », « anti social », de ceux qui « ne donnent pas le bon exemple à leur famille ». C’est que l’exemple du sauve-qui-peut vient d’en haut ! Ainsi, la banque d’affaires Morgan Stanley qui avait acheté des immeubles de standing à San Francisco avant l’effondrement immobilier a, depuis, cessé de les payer. Il en est de même pour de nombreux promoteurs. Tischman Speyer qui avait contracté un prêt de 5,4 milliards de dollars pour acquérir 11 232 appartements à Manhattan refuse de payer les 16 millions de dollars d’intérêts qu’on lui réclame. Il faut le comprendre, le pauvre homme, ses biens ne valent plus que 1,8 milliards de dollars !

Ces faillites en chaîne, le renflouement des banquiers et spéculateurs et le déficit colossal engendré provoquent une véritable hystérie et des fantasmes alimentent le racisme et la xénophobie latente dans la société états-unienne.

2 – Une société de plus en plus divisée

Contrairement à ce qu’affirment nos médias, la société états-unienne reste profondément marquée par le racisme. Randal Kennedy, professeur de droit à Harward, dans une chronique du Monde du 2 février est catégorique : «La race reste centrale dans la vie quotidienne des Américains. L’amitié, les loisirs, le logement : rien n’y échappe ». « A cause du racisme, une grande partie de la classe ouvrière blanche a subordonné ses intérêts de classe à ses préférences raciales ». Obama ? « Ce n’est qu’un politicien prudent élu par un jeu de circonstances exceptionnelles » et soutenu par les milieux d’affaires. D’ailleurs, il n’a « rassemblé que 43 % des votes blancs ». Il note également que déjà se sont produites des manifestations de Noirs et d’éléments les plus à Gauche à Washington pour dénoncer « un pouvoir blanc dans un visage noir » et proclamant qu’Obama est un « traitre à sa race ». C’est que le taux de chômage des Noirs est deux fois plus élevé que celui des Blancs. Quant aux Latinos qu’ils soient « réguliers » ou « irréguliers », ils ont le choix entre pauvreté, chômage, expulsion ou incorporation en Afghanistan. Cependant, la bourgeoisie noire vit dans un état de grâce : jamais autant de Noirs n’ont été nommés à des postes de responsabilité. Ce qui renforce encore l’obamaphobie des petits Blancs distillée par les apprentis sorciers de la Droite extrême. La bonne volonté d’Obama ne les calme pas. Il a beau relancer la politique de Bush de chasse aux immigrés, rien n’y fait. Il poursuit la construction du mur électrique le long de la frontière mexicaine, il crée un bureau pour contrôler les 350 centres de rétention où transitent chaque année 400 000 migrants, il reste sourd aux grèves de la faim, peine perdue, la Droite extrême virulente, lui intime de « retourner en Afrique » !

Certes, ce mouvement dont l’outrance hystérique est symptomatique, reste encore minoritaire. Il est né il y a tout juste un an, en réaction au plan de relance de 787 milliards de dollars et prétendument contre la dilapidation de l’argent des contribuables. Il ne peut être réduit à du poujadisme. Ceux qui exploitent la peur, tentent de mobiliser les classes moyennes sur les thèmes les plus réactionnaires, en misant sur l’échec d’Obama, en construisant un ennemi intérieur, en pariant sur l’individualisme de l’Américain « moyen » frustré. Ceux qui financent et médiatisent le Tea Party sont entre autres, Robert Murdoch de Fox News, Sarah Palin, Karl Rove dit le « cerveau de Bush ». A les entendre, il s’agit de purifier l’Amérique du mal intérieur, les Noirs, les musulmans, les Latinos, de faire prévaloir la suprématie blanche en remettant en honneur les valeurs du travail, de la famille, contre les homosexuels et l’avortement. Les mensonges mythomaniaques proférés contre Obama, l’accusant par exemple de vouloir euthanasier les vieillards et les enfants handicapés, servent effectivement à repousser « sa » réforme de la santé en la présentant comme un épouvantail. Ils ne doivent pas masquer qu’ils s’appuient sur des thèmes plus mobilisateurs comme ceux du refus de l’impôt, de la liberté contre le prétendu autoritarisme fédéral ou contre les banquiers et les bonus. Il n’en demeure pas moins que ce mouvement renforce les Républicains face à des Démocrates obnubilés par la nécessité de faire prévaloir l’union sacrée pour défendre le système. Il n’est par contre aucunement acquis que ce Tea Party puisse élargir sa base sociale. La réunion publique de Nashville où il fallait payer 549 dollars d’inscription pour y participer et 269 dollars pour déguster du homard ou dîner, démontre que ce sont les classes moyennes supérieures qui, lésées par la crise, sont les cibles de ce mouvement réactionnaire. Sarah Palin invitée s’est fait payer 100 000 dollars pour son intervention où elle a promis de « bouter hors du gouvernement, les sympathisants islamistes déguisés en démocrates ». De telles envolées reprises par les médias peuvent toutefois avoir un impact sur nombre de petits blancs lors de futures élections.

Quant aux travailleurs, ils sont laminés par la crise. Le taux de syndicalisation dans le secteur privé dépasse à peine 7 % en 2008. Les syndicats, même les plus déterminés4 « ne croient plus pouvoir gagner seuls une lutte contre les employeurs », « ils sont plus disposés à demander l’aide d’alliés comme les groupes communautaires, les étudiants, les leaders religieux ».

Face à ces déchirures, la rhétorique d’Obama le désigne comme un personnage falot qui reconnaît « qu’on n’avance pas beaucoup », mais « qu’il faut que chacun y trouve son compte », « qu’il soit républicain ou démocrate »

3 - Obama prône l’union sacrée pour le Capital

Il l’aurait déclaré lui-même : il est traumatisé par la déliquescence de la classe moyenne et par le constat que 20 % des hommes âgés de 25 à 54 ans n’ont pas de travail5. Il l’a répété lors de son discours sur l’état de l’union « C’est pour aider la classe moyenne que nous devons toujours réformer le système de santé » 6 malgré ses honteuses reculades. Car tout ce qu’il entreprend vise à retisser l’alliance avec l’oligarchie dominante, c’est pour cela qu’il a été choisi. Il ne souhaite que l’union sacrée entre démocrates libéraux et libéraux républicains et tant pis pour les illusions qu’il a diffusées. Comme Paul Krugman, le célèbre économiste néo keynésien, le souligne : « Si Obama continue de plier sous la pression idéologique des républicains, des milliers d’Américains en paieront le prix ». Dans le projet de budget présenté, il fait déjà pire que Bush : 120 programmes fédéraux ont été supprimés ou drastiquement réduits. Passons sur les programmes de la Nasa, sur lesquels les médias ont glosé, pour insister sur les dépenses d’éducation rognées et les remises d’impôts en faveur des classes moyennes. Ses priorités sur la santé, l’emploi sur les énergies propres ? Oubliées. La loi climat-énergie ? Aandonnée ou réduite à de vagues encouragements pour les économies d’énergie. Quant au protocole de Kyoto, il n’est pas question de le signer puisqu’est annoncée la relance des forages pétroliers notamment en Alaska, ce qui ravit Sarah Palin. D’autres décisions n’ont pas fini de décevoir les écolos qui l’ont soutenu, comme le triplement en 12 ans de la production d’agro-carburants ou la construction de nouvelles centrales nucléaires. En revanche, là où il fait mieux que son prédécesseur c’est dans la satisfaction de la caste militaro-industrielle. Le projet de budget de la défense passe de 680 à 708 milliards de dollars, il comprend des rallonges pour les interventions spéciales, près de 160 milliards pour l’Irak, le Pakistan/Afghanistan, et des investissements pour acquérir des hélico de combat (9.6 milliards) et 2.7 milliards pour doubler le nombre de drones pour des assassinats ciblés et autres dommages collatéraux. Mais, pour l’Etat fédéral rien n’est véritablement réglé. Malgré la réduction des dépenses de 447 milliards, le nouveau budget de 3 700 milliards s’équilibre ( !) avec un déficit de 1 600 milliards. La dette cumulée de la première puissance mondiale atteint désormais 12 300 milliards de dollars.

Du reste, l’essentiel n’est pas là, mais dans l’assurance qu’à la Maison Blanche, au Pentagone comme à la Réserve Fédérale (Fed), les oligarques et surtout les hommes de la Goldman Sachs soient toujours aux commandes. Cette banque qui a misé sur l’effondrement des CDS (titres de défaut de dettes) est largement bénéficiaire de la crise. Les débats qui ont agité dernièrement le Congrès américain ont dévoilé de douteuses opérations et manipulations. Le 16 septembre 2008, le n° 1 de l’assurance des banquiers et spéculateurs a été renfloué à hauteur de 180 milliards de dollars. Aussitôt reçus, aussitôt distribués généreusement au profit des banques américaines (62 milliards de dollars), le reste pour d’autres banques notamment européennes (Société Générale). Et le démocrate Stephen Lynch de s’égosiller « Quelque chose pue ici. On n’a pas dit ce qui se passait au peuple américain et au Congrès en temps voulu » et son collègue Edolphus Towon d’en rajouter « AIG est une coquille vide, les contribuables sont venus piller le cadavre. Pourquoi avoir accepté de rembourser un dollar pour un dollar ? ». Il n’y a en réalité pas lieu de s’en étonner car ces délibérations ne sont en fait qu’une mascarade : Timothy Geithner et Henry Paulson toujours en place étaient à la manœuvre. Ces hommes travaillaient pour la Goldman Sachs, Paulson a même reconnu avoir quitté ses fonctions pour entrer à la Fed, après avoir touché 300 millions de dollars en compensation de la perte de son poste lucratif. Quant à Ben Bernanke, connu pour n’avoir qu’un maître, Wall Street, ce sauveteurd’AIG, le complice de la Goldman Sachs, il a été reconduit à la tête de la Réserve Fédérale (Fed) par Obama et a même obtenu l’aval du Congrès et de la majorité des sénateurs républicains qui l’ont intronisé.

Noam Chomsky par rapport aux illusions nécessaires entretenues par Obama a eu ce mot terrible « C’est un blanc qui est resté trop longtemps au soleil »7. Les Présidents US ne sont en fait que les marionnettes de l’oligarchie. De Reagan, le mauvais acteur de série B en passant par Bush l’idiot surveillé8, pour en arriver au rhétoricien falot Obama, tout change pour rien ne change. La spéculation et les bonus aux traders sont relancés et les multinationales et les banquiers peuvent toujours, en toute légalité, éviter de payer des impôts en installant sièges sociaux, filiales ou sociétés écrans dans les paradis fiscaux. Leurs profits y seront localisés et leurs pertes seront déclarées dans les Etats à forts taux d’imposition pour se faire aider aux frais du contribuable9. « La Goldman Sachs a annoncé qu’en 2009 elle avait réalisé un bénéfice de 3 385 milliards de dollars avant répartition des dividendes, chiffre 6 fois supérieur à 2008 ». « C’est pourquoi les dirigeants et cadres de Wall Street seront récompensés avec une somme proche de 25 milliards de dollars sous forme de bonus annuels »10.

La décision récente de la Cour Suprême permettant d’ouvrir sans limite le financement des campagnes électorales aux groupes industriels et financiers, considérés désormais comme l’équivalent de personnes privées, ouvre les vannes à un formatage des esprits sans commune mesure avec la démesure déjà à l’œuvre. Pour l’heure, l’oligarchie compte sur Obama pour lui réconcilier les classes moyennes et faire endurer aux pauvres l’amère pilule colorée. Et ce ne sera pas simple, tout comme l’autre mission de restauration de la puissance soft pour gendarmer le monde. En la matière sur la scène internationale, malgré sa suprématie guerrière, l’Empire n’est plus ce qu’il était.


II – Les griffes élimées de l’aigle impérial

Dans le cadre de cet article, il n’est guère possible d’entrer dans une analyse de la puissance militaire et économique de « l’Empire », ni de ses faiblesses par rapport à sa prétention de conserver sa suprématie, son rôle de gendarme du monde, son image de bienfaiteur de l’Humanité et à sa prétendue mission civilisatrice. L’on peut toutefois noter un certain nombre de faits qui sont autant de tendances au déclin de « l’Empire » dans sa prétention à dicter l’agenda du monde11.

Il est déjà loin le temps où « l’Empire » espérait dépecer la Russie en entourant Eltsine de Golden boys pratiquant la stratégie du choc12. Le pouvoir de l’Etat russe restauré sous Poutine lui tient la dragée haute. Les révolutions « orange » suscitées sont toutes en passe d’échouer. Les appels au partenariat de sujétion et les clameurs pour que Poutine-Medvedev tiennent leurs engagements vis-à-vis de la Géorgie semblent bien dérisoires comme le déménagement du projet anti missiles de la Pologne à la Roumanie. Gasprom et les hydrocarbures russes imposent de baisser le ton d’autant que les moyens de pression sur Moscou sont de fait limités, tout comme ceux d’ailleurs qui peuvent être utilisés contre les pays européens. Rien n’a pu empêcher le gouvernement français de livrer un navire de guerre à la Russie. Les multiples pressions de la Maison Blanche et de l’OTAN ne sont pas parvenues non plus à satisfaire un renforcement des contingents demandés visant à conforter l’armée américaine dans son escalade guerrière en Afghanistan et au Pakistan. Empêtré dans un conflit apparemment sans fin, Obama, le prix Nobel de la paix, a de plus en plus de difficultés à convaincre ses alliés de poursuivre cette guerre impopulaire. Les Pays Bas ont annoncé le retrait de 2 000 soldats dès début août, Paris a chichement octroyé pour le moment un effectif supplémentaire de 80 soldats sur les 1 500 sollicités, d’autres malgré les réticences de leurs opinions publiques, s’alignent avec difficulté comme l’Allemagne (+ 850), l’Espagne (+ 540) ou la Grande Bretagne (+ 500). « Il faut racler les fonds de tiroirs, il faut plus et immédiatement ». Les coups de gueule du général-commandant l’OTAN adressés aux Etats européens n’y ont rien changé. On est loin du compte, c’est une des raisons pour lesquelles, à défaut de soldats et de matériels, il est question de recourir aux dollars pour acheter les talibans dits modérés dans un pays où les fantoches installés sont corrompus jusqu’à la moelle. Un fonds spécial de 140 millions de dollars a été créé à cet effet.

Le résultat de l’agression de l’Irak semble des plus controversés. La volonté d’imposer par la force la démocratie de façade pro-américaine s’est traduite par l’émergence d’un gouvernement chiite proche de l’Iran où les divisions confessionnelles et ethniques sont loin d’être apaisées. L’occupation, loin des villes, cantonnée dans des camps retranchés continue. Il est de plus en plus fait appel à des mercenaires, le recrutement dans l’armée américaine s’avérant de plus en plus difficile. Quant au recours aux technologies de la mort à distance, sans engagement humain, ils sont de plus en plus contre-productifs, les populations civiles en subissant surtout les effets dévastateurs. La haine des Etats-Unis gagne, non seulement toute cette région, mais également toute la rue arabe, le monde musulman et la réprobation de l’opinion mondiale s’amplifie. Mais Obama l’a promis « il faut finir le travail » sinon la puissance de l’Empire aura démontré son impuissance et tous les Pinochet arabes en vacilleront.

Tout comme s’effritera la logomachie largement entretenue sur la guerre au terrorisme. A cet égard la surveillance des mouvements de capitaux européens, remise en cause par le Parlement européen, est significative. L’accès à ces données bancaires autorisé par les 27 ministres de l’intérieur de l’Union Européenne, sous prétexte de lutte contre Al Qaïda, a en effet été récusé. Les élucubrations des bushistes ne seraient plus de saison ! Reste l’épine iranienne. La diabolisation de ce pays récalcitrant à l’hégémonie américaine, la réalité de ce régime dictatorial ne suffisent plus à convaincre qu’il est nécessaire d’instituer un blocus qui, comme pour l’Irak, se révélerait meurtrier pour les populations civiles. Le Brésil, la Turquie, le Nigéria, voire le Liban sont désormais opposés au renforcement des sanctions, sans compter bien évidemment la Russie et la Chine. Moscou joue double jeu ; pour une valeur de 146 milliards d’euros par an, elle demeure le plus gros fournisseur d’armes au régime iranien et, dans les chancelleries, l’on prétend qu’elle ne serait pas mécontente de l’effet d’aubaine de frappes sur les centrales nucléaires, qui feraient exploser le prix du pétrole et conforteraient l’Etat rentier russe pour lequel les hydrocarbures représentent 80 % des exportations. Quant à la Chine, premier créancier des USA, nouvelle puissance montante si elle apparaît comme le défenseur du régime des Mollah c’est pour des raisons stratégiques similaires. Elle semble insensible aux dernières tentatives assez dérisoires de déstabilisation-provocation d’Obama, à savoir, l’accueil à Washington du Dalaï Lama et la vente d’armes à Taïwan pour un montant de 6.4 milliards de dollars.

En fait, l’Empire fait face partout dans le monde à la résurgence de nationalismes qui contestent sa suprématie. Même le Japon tente de se dégager de la tutelle US, conteste le bien fondé de l’implantation des bases militaires sur son territoire. Pour Noam Chomsky13 « un réseau asiatique pour la sécurité est en formation. Il s’articule autour de la Chine et de la Russie ; l’Inde et la Corée du Nord vont vraisemblablement s’y joindre, peut-être le Japon … Ces pays aimeraient que l’Iran se joigne à eux. L’Inde semble avoir enfreint les ordres des Etats-Unis concernant un pipe line vers l’Iran … Ce réseau tourné vers l’Est « serait un cauchemar pour les Etats-Unis ».

Le plus préoccupant pour l’Empire se situe peut-être dans son arrière cour. L’Amérique latine semble également lui échapper. « Il n’est pas absurde de conjoncturer que la croissante militarisation des relations dans l’hémisphère sud, avec pour base la Colombie transformée en Israël latino-américain, pourrait avoir pour conséquence, à terme, l’ouverture d’un 3ème front dans cette partie du monde. L’obsession de renverser Hugo Chavez et de normaliser le paysage politique latino-américain pourrait fort bien précipiter une telle folie »14. Après le coup d’Etat au Honduras avalisé par les Etats-Unis, l’élection de Pinera, cet ancien pinochiste au Chili, c’est l’alliance bolivarienne qui est dans le collimateur, à savoir le Venezuela, Cuba, la Bolivie, l’Equateur, le Nicaragua. Et, en Haïti, où 14 000 marines contrôlent Port-au-Prince, le signe est clair : « il s’agit de renforcer jusqu’au paroxysme le contrôle territorial de la région par les Etats-Unis ».

Mais, l’Empire peut-il tout se permettre comme naguère ? La puissance technologique des armes de destruction massive, la suprématie financière du dollar ne sont pas suffisantes pour maintenir peuples et Etats sous la férule de Washington. Le ciment idéologique s’effrite : les lampions de l’Obamania s’éteignent. Les proches de Sarko s’en indignent, ça tourne même en Europe à l’obamaphobie. « A Copenhague, les USA ont donné l’impression aux membres de l’UE de les marginaliser pour mieux négocier avec la Chine et l’Inde ». « Les Chinois ont eu un faible face à eux ». « Il s’est fait humilier par la poursuite de la colonisation en Cisjordanie » ( !). Mais un tigre blessé est des plus dangereux. Et dans sa confrontation avec la Chine qui est en mesure de contester sa domination, il ne serait pas absurde de prévoir la résurgence d’une campagne de propagande haineuse contre le péril jaune.

Il n’en demeure pas moins que la possibilité de telles conjectures repose sur la capacité ou l’incapacité d’Obama et de l’entourage qui le guide, à asseoir leur domination sur le peuple états-unien pour lui faire admettre de nouveaux sacrifices. « Dans un système extraordinairement sophistiqué, les élites au pouvoir ne peuvent se maintenir sans la soumission et la loyauté de millions de gens à qui l’on accorde, en échange de ce service, de bien maigres récompenses. Ces gens, les catégories dotées de quelques privilèges mineurs, sont pris dans une alliance avec les élites. Ils forment en quelque sorte la garde prétorienne du système, véritable digue entre les classes les plus favorisées et les classes les plus pauvres. S’ils cessent d’obéir, le système s’effondre »15.

Nous n’en sommes pas (encore ?) là.

Gérard Deneux


Howard Zinn « Une histoire populaire des Etats-Unis de 1492 à nos jours » (édition Agone). Pour qui veut comprendre le peuple des Etats-Unis, ses combats, ses peurs, son oppression, ses résistances et la nature de l’impérialisme US, il doit absolument lire ce livre-monument qui bat en brèche la conception de l’Histoire officielle. Howard Zinn, ami de Noam Chomsky, a été de tous les combats de la « Gauche » radicale aux Etats-Unis. Il est décédé récemment. Nous lui rendons hommage.

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