Dix-huit mois après la brutale aggravation de la crise économique mondiale survenue pendant l’été et l’automne 2008, quel bilan pouvons-nous dresser de ce qui s’est passé et ne s’est pas passé depuis lors ? Quelles sont les prévisions alors faites qui se sont réalisées et celles qui ont, au contraire, été infirmées par la séquence des événements auxquels nous avons assisté ? Quels enseignements pouvons-nous et devons-nous en tirer ? Et quelles prévisions peut-on raisonnablement engager pour l’avenir à court et moyen terme ? Telles sont quelques-unes des questions que se propose d’aborder cet article et auxquelles il ne répondra d’ailleurs qu’en partie.
La crise n’a pas tenu ses promesses
Alors que bon nombre des analystes avaient prévu à l’automne 2008 un enchaînement plus catastrophique de la crise, alors que certains s’étaient même risqués à prédire un prochain effondrement général du capitalismeii, celui-ci semble sortir une nouvelle fois de la zone des tempêtes sans trop de dommages, sinon pour les exploités et les dominés du moins pour lui. Comment l’expliquer ?
Certes, l’économie capitaliste mondiale aura connu au cours des dix-huit derniers mois la plus sévère contraction de son activité depuis la Seconde Guerre mondiale, bien plus ample que celles de 1973-1975 et de 1991-1993, et qui ne peut se comparer qu’à la séquence des années 1930. Sa brutalité transparaît dans les données suivantes. L’an dernier, le PIB a baissé de 2,1 % en France, de 2,8 % aux Etats-Unis, de 4 % dans l’ensemble de la zone euro, de 4,7 % au Royaume-Uni, de 4,8 % en Allemagne, de 5,2% en Italie, de 5,6 % au Japon. La contraction de la production industrielle a été plus sévère encore : entre le printemps 2008 et le printemps 2009, elle a chuté de 15 % aux Etats-Unis, de 14 % dans l’ensemble de la zone euro, de 20 % en France, de 25 % en Allemagne et même de 35 % au Japon, du fait notamment d’un déstockage massif des entreprises, à la hauteur de la situation de surproduction atteinte à la veille du krach financier ! Entre 2007 et mi 2009, le taux de chômage officiel est passé de 4,6 % à 9,6 % aux Etats-Unis, de 5,4 à 8,1% au Royaume-Uni, de 8,4 à 9,5 % en France, de 7,1 à 9,6 % dans la zone euro, signifiant la destruction de millions d’emplois et de chômeurs en plus grand nombre encore : aux Etats-Unis, c’est l’équivalent de la totalité des emplois créés entre 2003 et 2007 qui a été ainsi détruit depuis lors. Bref, 2009 a toutes les chances de rester dans les annales économiques comme une annus horribilis. Et cependant, on n’aura pas assisté à l’effondrement du système financier (bancaire) et encore moins de l’ensemble de la machine économique souvent prédit, pour s’en réjouir ou s’en effrayer, à la fin 2008. On a bien connu une sévère récession mais pas l’enclenchement d’une spirale dépressive comme celle des années 1930, dans laquelle prix, production, emplois, demande se tirent mutuellement vers le bas en un cercle vicieux continu.
Il faut donc reconnaître, en premier lieu, l’efficacité immédiate des plans massifs de sauvetage du secteur financier (700 milliards de dollars aux Etats-Unis, 3 000 milliards d’euros en Europe) et des plans non moins massifs de relance économique (825 milliards de dollars aux Etats-Unis, 200 milliards d’euros dans l’Union européenne, 585 milliards d’euros en Chine, 115 milliards d’euros au Japon). Plans par ailleurs soutenus par la réduction par les Banques centrales de leur taux de refinancementiii (0,25 % pour la Fediv, 0,5 % pour la Banque d’Angleterre, 1 % pour la Banque centrale européenne) ainsi que par l’achat massif par ces mêmes Banques centrales d’obligations (privées et même publiques), le tout pour fournir aux banques privées les liquidités nécessaires à la poursuite de leurs activités de crédit dans un contexte de contraction du marché interbancairev et pour permettre une baisse des taux à long terme sur ce même marché : au cours de 2009, ce sont ainsi 1 440 milliards de dollars qui ont été injectés dans le circuit financier par la seule Fed. Avec cependant pour conséquence de faire exploser les déficits publics qui ont ainsi atteint en 2009 3,5 % du PBI aux Etats-Unis, 12,6 % au Royaume-Uni, 12,7 % en Grèce et 12,2 % en Irlande, 9,6 % en Espagne, 8,3 % en France, contre cependant seulement 3,2 % dans la vertueuse Allemagne. Et, sous la conjonction de ces dépenses supplémentaires et de la contraction des recettes due à la récession économique, la dette publique brute aura bondi, entre 2007 et 2009, de 61,8 à 83,9 % aux Etats-Unis, de 46,9 à 71 % au Royaume-Uni, de 70,9 à 81,8 % dans la zone euro, de 167,1 à 189, 3 % au Japon, de 73,1à 90 % dans l’ensemble des Etats membres de l’OCDE.
Parmi les prévisions avancées au cours de l’automne 2008, alors que la crise financière commençait à se communiquer à « l’économie réelle » et qui ne se sont pas non plus réalisées, il faut compter, en deuxième lieu, l’absence à peu près totale de toute réaction de quelque ampleur de la part des salariés et des peuples qui allaient être les victimes de la récession, en termes de destruction d’emploi, de montée du chômage, d’austérité salariale, d’inégalités sociales croissantes, etc. En un mot, la crise économique s’est bien transformée en crise sociale mais pas en crise politique et encore moins en crise révolutionnaire. Les raisons en ont été multiples. Le seul fait que la première ait été contenue dans les limites et les formes d’une « simple » récession, fût-elle sévère, a sans doute incité bon nombre d’exploités et de dominés à faire le gros dos, en espérant ne pas en être victimes et en attendant de (très) hypothétiques jours meilleurs. De surcroît, la récente et brutale aggravation de la crise économique est intervenue dans un contexte de lente mais pour l’instant irrésistible dégradation du rapport de forces dans la lutte des classes, en faveur du capital et au détriment du travail, au fil des décennies antérieures d’une crise structurelle du capital qui est aussi devenue une crise majeure de ce qu’on nommait naguère le mouvement ouvrier. Enfin, là où elle s’est manifestée, comme en France par exemple tout au long de l’hiver et du printemps 2009, la réaction de certains secteurs du salariat n’a pas été à la hauteur de la situation, donnant prise à la tactique syndicale désormais éprouvée d’épuisement et de dévoiement de la combativité par la répétition de stériles « journées de mobilisation » qui consistent en fait à immobiliser autant que possible les travailleurs. Une fois de plus, les principales confédérations syndicales, CGT et CFDT en tête, auront parfaitement rempli leur fonction de flancs-gardes du capital.
Enfin, au nombre des démentis que le développement de la crise aura infligés aux analyses à son sujet développées à l’automne 2008, figure en troisième lieu l’absence de toute remise en cause majeure de l’orientation néolibérale dominant l’ensemble des politiques économiques depuis maintenant trois décennies, dont la responsabilité est pourtant largement engagée dans la séquence critique que l’on vient de connaître et dont la faillite a pourtant été constatée par tout le monde à cette occasion. Même s’il a fallu aux gouvernants violer tous les dogmes de l’économie politique et de la politique économique néolibérale, encore présentés la veille comme aussi intangibles que les Ecritures, en faisant massivement appel à l’Etat pour sauver le capital de sa crise et en s’engageant dans la voie d’une (très timide) re-réglementation des marchés, la situation à peine stabilisée, on a vu ces mêmes gouvernants et les états-majors des grands groupes capitalistes retourner à leurs dieux et démons de la veille : déjà il n’est plus question pour eux que de reprendre leur marche en avant, un moment interrompue et dévoyée, vers le règne de la liberté qu’est censé être le tout-marché. C’est que, sur le plan idéologique, la bourgeoisie n’a pas de programme de rechange. Le néolibéralisme reste sa politique dans la mesure où il permet d’aggraver l’exploitation et la domination du salariat tout en garantissant la prédominance du capital financier sur les autres fractions du capital.
Bref, passé le moment de stupeur et de panique de l’automne 2008, avec le soutien actif de ses états-majors gouvernementaux et de ses flancs-gardes syndicaux, la bourgeoisie s’est rapidement ressaisie et a su non seulement garder l’initiative mais reprendre l’offensive contre les salariés. Pour l’instant, elle continue de triompher.
Elle aurait cependant tort de croire qu’elle est tirée d’affaire et que la crise est finie. Il se pourrait bien que la victoire que la bourgeoisie semble avoir remportée en jugulant une crise qui menaçait de l’emporter soit en définitive une victoire à la Pyrrhus.
En premier lieu, la crise financière n’est pas jugulée. Les banques n’en finissent pas de chiffrer le montant de leurs pertes, au fur et à mesure où elles enregistrent la dépréciation de leurs actifs (des titres de crédit ou de propriété qui composent leur capital), « pourris » par le mécanisme de la titrisation générateur de la crise financière ou compromis entre-temps par les ravages de la récession au sein de « l’économie réelle » (les entreprises en faillite, les ménages surendettés). En avril 2009, le FMI considérait que les banques n’avaient reconnu jusqu’alors que le tiers de leurs dépréciations effectives, l’écart entre le montant des pertes avoué et leur montant réel étant particulièrement accentué en Europe occidentale : sur un montant de 1 200 milliards de dollars de pertes effectives, à peine plus de 300 ont été reconnus, le restant devant être passé dans les comptes d’ici à la fin 2010vi. Et ce bien que les banques aient recommencé à faire des bénéfices tout à fait conséquents : sur les neuf premiers mois de 2009, les quatre principaux établissements français ont ainsi engrangé quelques 5,3 milliards d’euros, essentiellement grâce aux écarts entre les taux auxquels ils empruntent eux-mêmes (notamment auprès de la Banque centrale) et ceux auxquels ils prêtent à leurs propres clients.
Par ailleurs, si la crise a pu être jugulée, contenue dans les limites d’une « simple » récession sévère sans virer à la dépression catastrophique, c’est, nous l’avons vu plus haut, en en substituant l’endettement public à l’endettement privé en tant que moteur de l’accumulation du capital : en somme, pour sauver les capitaux réels et les capitaux fictifs débiteurs des créanciers privés, on a gonflé les dettes publiques. Mais pareil gonflement des déficits publics, qui ne peuvent que mécaniquement s’aggraver, est en train de créer les conditions non seulement d’une nouvelle bulle spéculative mais encore et surtout d’une crise financière bien plus grave encore lorsque les premières défaillances d’Etats se produiront. Déjà certains Etats européens (la Grèce, l’Espagne, Portugal, l’Irlande mais aussi l’Italie et même le Royaume-Uni) commencent à avoir du mal à emprunter sur les marchés financiers (ils n’y parviennent que moyennant une hausse constante des primes de risque, donc des taux d’intérêts), ce qui fait craindre un éclatement à terme de la zone euro, possible même s’il est pour l’instant peu probable ; tandis que bon nombre des Etats d’Europe centrale et orientale membres de l’Union européenne ont dû faire appel à l’aide (rien moins que désintéressée) du Fonds monétaire international, repoussant ainsi aux calendes grecques leur intégration dans cette même zone. Ce qui augure, dans tous les cas, de nouveaux plans de rigueur, impliquant des coupes claires dans les dépenses publiques, qui restreindront d’autant les possibilités de sortie de crise.
Enfin il faudra bien mettre prochainement fin à cette autre perfusion pratiquée sur le malade qu’a été l’injection massive de liquidités dans le circuit financier par les Banques centrales, ainsi que nous l’avons affirmé. Tout simplement parce que la poursuite d’un tel traitement, outre qu’elle est d’ores et déjà génératrice de pratiques spéculativesvii, ne pourrait que menacer la confiance dans la valeur des monnaies. Se pose donc déjà la question de la délicate sortie de ce dispositif d’exception, qui seule nous fera savoir quel est l’état de santé effectif du système financier.
En deuxième lieu, rien n’a été entrepris pour que se produise un rééquilibrage dans le partage de la valeur ajoutée qui est pourtant à la racine même non seulement de la récente phase critique mais de la récurrence de toutes les crises financières depuis une trentaine d’années. Car, ainsi que j’ai eu l’occasion de le démontrer dans le premier de mes deux articles précédents, c’est ce déséquilibre qui, par l’insuffisance de la demande salariale, vient freiner puis finalement bloquer l’accumulation du capital, en rendant simultanément possible et même, dans une certaine mesure, nécessaire un gonflement artificiel du crédit (de l’endettement privé) pour entretenir la croissance réelle tout en générant une bulle spéculative, avant que d’exiger que l’endettement public ne prenne le relais lorsque cette bulle finit par éclater. Bien au contraire, la dernière phase critique et sa gestion n’ont fait qu’aggraver encore le déséquilibre dans le partage de la valeur ajoutée, sur le plan mondial (que l’on pense par exemple combien les salaires chinois restent bridés) comme au sein des différents Etats, notamment en provoquant une augmentation du chômage et, par conséquent, une pression supplémentaire en faveur de l’austérité salariale (ralentissement de la hausse des salaires réels dans le meilleur des cas, stagnation dans la plupart des cas, voire quelquefois baisse sous l’effet d’un chantage aux licenciements) – dont l’effet récessif voire dépressif va encore s’accroître dans les prochains mois, lorsque les indemnités de chômage des salariés licenciés vont se trouver réduites voire supprimées et que les comportements d’épargne préventive des ménages vont se renforcer. Et ce d’autant plus que le chômage va continuer à s’accroître sous l’effet et de la poursuite des faillites (car il persiste des surcapacités de production dans de nombreuses branches et certaines entreprises ont différé leurs licenciements en espérant une reprise qui ne s’est pas produite) et de la permanence d’une demande atone qui ne rendra au mieux possible qu’une croissance molle, que la montée du chômage va d’ailleurs continuer à déprimer encore.
En troisième lieu, en dépit des promesses et des rodomontades de certains de ‘nos’ dirigeants, au premier rang desquels notre Tartarin national, aucune véritable re-régulation de la finance transnationalisée n’a été mise en place, de manière à prévenir et éventuellement contenir la réédition de bulles financières mondiales dont l’éclatement ravage « l’économie réelle » et menace à chaque fois la stabilité du système tout entier. Alors que le G20 réuni début avril 2009 à Londres puis à Pittsburg en septembre nous a promis d’enclencher un processus visant à revenir sur la dérégulation financière initié à partir de la fin des années 1970, on s’est contenté de promesses et de mesurettes insignifiantes. Qu’on en juge ! Pas plus qu’avant la crise, les banques centrales ne sont aujourd’hui dotées des pouvoirs réglementaires qui les autoriseraient à réguler la distribution de crédits par les banques privées de manière à leur interdire d’alimenter des bulles spéculatives ; aujourd’hui comme hier, on fait essentiellement confiance à la sagesse des dirigeants des banques privées : à leur promesse (régulièrement non tenue par le passé) de respecter des règles prudentielles dans la distributions de crédits et à leur clairvoyance, alors qu’une récente enquête auprès des quinze plus grandes banques du monde témoigne de la myopie de leurs dirigeants à l’égard des risques encourusviii. On y a certes adjoint un mécanisme de supervision « macroprudentiel » (des instances de surveillance des activités financières pourvues d’une faible capacité de contraindre des acteurs aux comportements potentiellement dangereux pour l’ensemble du système financier) ; mais, pour mesurer son efficacité potentielle, il faut savoir que de pareilles instances avaient déjà été instituées au lendemain de la crise financière asiatique de 1997-1998… avec le succès que l’on sait dans la prévention des deux crises financières suivantes, celle de la soi-disant « nouvelle économie » et celle des subprime.
Et c’est également à la régulation privée, sous forme de chambre de compensations, que l’on continue à s’en remettre pour réguler l’émission et le marché des produits dérivés, ces multiplicateurs de risques financiers qui ont été à la base de toutes les bulles financières depuis plus de vingt ans. Autant demander à des pyromanes de désigner parmi eux une équipe de pompiers !
La soi-disant lutte engagée contre les paradis fiscaux, responsables d’une fraude et d’une évasion fiscales massives et opérateurs de premier plan au sein de la dérégulation financière et de la spéculation mondialisée, s’est réduite… à faire les gros yeux aux plus visibles et notables d’entre eux, lesquels s’en sont tirés en promettant de lever leur secret bancaire (une promesse non tenue à l’heure qu’il est) et d’étendre le champ de leur coopération avec les administrations fiscales d’Etats tiers. Ce qui n’a abouti pour l’instant qu’à jeter quelques centaines de noms en pâture, pour mieux continuer à maintenir tous les autres dans l’ombre. Bref de la poudre aux yeux ! Et, dans ses conditions, les pratiques prédatrices des fonds spéculatifs, tous basés dans des paradis fiscaux, ont encore de beaux jours devant elles.
Quant à la promesse de mettre fin aux revenus extravagants des dirigeants de banques, compagnies d’assurances, fonds d’investissement, etc., ou des ‘simples’ traders, on n’a pas eu à attendre pour apprendre ce qu’il en sera. Sauvé d’une faillite certaine à l’automne 2008 grâce à une aide publique de 85 milliards de dollars, le plus gros assureur états-unien AIG a annoncé au printemps suivant qu’il allait distribuer 165 millions de dollars de bonus entre 418 de ses principaux salariés ; tandis que le patron de la banque franco-belge Dexia, elle aussi sauvée de la faillite par l’argent public, est parti à la retraite avec une pension supplémentaire annuelle (« retraite chapeau ») de 588 000 euros ! Et, sur les 3,2 milliards de bénéfices qu’elle a réalisés pendant le premier semestre 2009, BNP-Paribas a annoncé en provisionner un milliard pour les primes de ses traders ; une paille à côté des huit milliards de dollars que Goldmann Sachs réserve aux siens ! Et aucun des gouvernements du G20 n’a entrepris de plafonner ces bonus ni même de les taxer durablementix, se conformant ainsi implicitement au bon vieux principe capitaliste : « Business as usual ! »
Bien plus, la manière dont les Etats ont volé au secours du secteur financier, du moins après la panique consécutive au lâchage de Lehmann Brothers et face au risque d’un effondrement de l’ensemble du système financier par faillites successives, garantit implicitement les banques et les fonds d’investissement d’être assurés du soutien des pouvoirs publics dès qu’ils menaceront de faire faillite et dès lors que leur défaillance risque d’en provoquer d’autres, voire de déstabiliser tout le secteur, et ce quels que soient les risques inconsidérés qu’ils auront pu prendre. Ce qui ne peut que les inciter à les courir dès lors qu’ils sont la contrepartie de la promesse de gains juteux. Plus que jamais la doctrine du too big to fail (trop gros pour faire faillite) a désormais cours.
Enfin, la suite de réunions des chefs d’Etat ou de gouvernements des principales puissances capitalistes, fût-ce dans le cadre d’un G8 élargi en G20, a surtout démontré, une fois de plus, l’impossibilité d’instaurer une véritable gouvernance capitaliste mondiale dans un contexte de crise de l’hégémonie états-unienne. Et, même au niveau continental, pareille coordination a eu du mal à se mettre en place. Ainsi, au niveau européen, ce n’est qu’avec grand peine que les gouvernements de l’Union européenne ont pu tomber d’accord sur un plan de sauvetage des banques en octobre 2008 ; et le sommet européen de décembre 2008 n’a pas même pu accoucher d’une véritable relance concertée, chaque membre de l’Union y allant de sa propre relance en ordre dispersé, ce qui en a limité d’autant la portée, chacun cherchant plutôt à reporter le poids de la crise sur ses voisins qu’à opérer de manière coopérative. Et, dotée d’un budget fédéral ridicule (1,2 % du PIB de l’Union), elle se trouve actuellement incapable de venir en aide à ses Etats membres les plus affectés par la crise et par le risque d’insolvabilité ; tandis qu’il est interdit à la Banque centrale européenne de leur prêter de l’argent.
L’avenir est sombre
Dans ces conditions, même si la présente récession pourra finalement être surmontée à moyen terme, ce qui n’est pas certain, le scénario le plus probable est celui de la réédition du même enchaînement qui conduira d’une nouvelle bulle spéculative (qui se portera sans doute cette fois-ci sur les titres des dettes publiques), accompagnée d’une reprise économique factice, débouchant immanquablement sur un nouveau krach et une nouvelle récession qui se produiront cependant dans des conditions bien pires que la précédente. Car les Etats ne pourront pas sauver une nouvelle fois le capital à la hauteur de leurs engagements sur ces deux dernières années, du fait même des limites que va rencontrer la dette publique sous l’effet de ces engagements précisément.
De surcroît, dans les prochaines années et plus encore dans les prochaines décennies, on va assister à une aggravation de la crise écologique. Car, contrairement à tous les discours nous promettant pour demain un « capitalisme vert », le capitalisme est incapable de résoudre cette dernière pour des raisons non pas conjoncturelles (absence de volonté réformatrice, poids des lobbys de l’automobile et du nucléaire, choix de mauvaises orientations en matière de politique économique, etc.) mais pour des raisons structurellesx. C’est d’ailleurs ce que l’échec de la récente conférence de Copenhague sur le climat vient d’illustrer. Et la crise économique va se trouver aggravée bien plus que résolue par l’approfondissement de la crise écologique, notamment sous l’effet du renchérissement des prix de l’énergie (à commencer par celui du pétrole qui est reparti à la hausse après s’être effondré à 30 dollars le baril en décembre 2008), de certaines matières premières industrielles, des produits agricoles (avec à la clé, de nouvelles crises alimentaires), etc., avec pour effet global une hausse tendancielle de la valeur de la force de travail mais aussi de la rente (de sa part dans la plus-value), dépréciant d’autant la profitabilité du capital.
Enfin, la bourgeoisie aurait tort de se féliciter de la faiblesse durable de combativité des salariés. Car l’absence de tout sujet antagoniste sérieux, capable d’infléchir les orientations générales qu’elle impose au cours du monde actuel, contribue aussi à la rendre incapable de prendre des mesures pour « réformer le capitalisme », sur le plan économique aussi bien que sur le plan écologique, autrement dit pour prolonger les conditions générales de la reproduction du capital.
Mais c’est là aussi le principal problème pour nous. Comment créer les conditions de la renaissance d’une conflictualité des opprimés qui soit à la hauteur des défis actuels ? Je me propose d’y revenir dans un prochain article.
Alain Bihr
i Pyrrhus (318-272 avant notre ère), roi de l’Epire, envahit le Sud de l’Italie vers 280 et se heurte alors aux Romains, contre lesquels il remporte deux victoires très coûteuses en hommes et matériels qui, selon Plutarque, lui auraient inspiré la réflexion suivante : « Si nous devons remporter une autre victoire sur les Romains, nous sommes perdus. » Depuis lors, l’expression « une victoire à la Pyrrhus » décide un succès qui coûte plus à celui qui le remporte qu’un éventuel échec.
ii Si je compte incontestablement parmi les premiers, du moins ai-je eu la prudence de ne pas me classer parmi les seconds. Cf. mes deux précédents articles sur le sujet parus dans A Contre-Courant n°199 (novembre 2008) et 200 (décembre 2008).
iii C’est le taux de base auquel les banques privées et autres institutions financières peuvent emprunter auprès de la Banque centrale.
iv Fed : abréviation pour Federal Reserve Bank, la Banque centrale états-unienne.
v C’est le marché sur lequel les banques privées se financent (se font crédit) mutuellement à court terme (quelques mois ou semaines) voire très court terme (quelques jours).
vi Cf. Guillaume Duval, « Les banques restent fragiles », Alternatives Economiques, n°283, septembre 2009, page 11.
vii Les taux de refinancement réels (déduction faite de l’inflation) des banques centrales sont devenus presque nuls voire négatifs dans tous les principaux Etats. Avec d’ailleurs pour conséquence de favoriser immédiatement la formation d’une nouvelle bulle spéculative. Grâce à la surabondance des liquidités mises à la disposition des banques privées par les Banques centrales, les bourses ont en effet repris des couleurs, les acteurs financiers utilisant cet argent pour relancer la spéculation… plutôt que de l’investir dans « l’économie réelle » (de prêter aux entreprises et aux ménages). Entre fin 2008 et l’automne 2009, les indices boursiers ont ainsi crû de 60 % aux Etats-Unis et en Allemagne, de 50 % en France et au Japon, de 40 % au Royaume-Uni et en Australie. Preuve supplémentaire que la spéculation est (devenue) une drogue dure à laquelle le capital est durement et gravement accro…Jamais le contraste n’a été aussi énorme qu’aujourd’hui entre une « économie fictive » euphorique et une « économie réelle » languissante sinon déprimée !
viii Cf. Christian Chavagneux, « Les banques contrôlent mal leur risques », Alternatives Economiques, n°286, décembre 2009, page 62.
ix La taxation instituée par le Royaume-Uni et la France à sa suite s’arrêtera le 5 avril prochain. Il suffira à nos financiers de différer jusqu’au 6 avril la perception de leurs primes pour que celles-ci échappent au fisc. Quel sacrifice !
x Je renvoie ici à mon article « Un "capitalisme vert" est-il possible ? », A Contre-Courant, n°204, mai 2009.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire