(suite de « Etas-Unis : le rêve n’est qu’un cauchemar » paru dans ACCpES n° 208 octobre 2009)
Dans le précédent article, j’ai évoqué l’horreur sociale globale que vivent de très nombreux états-uniens, il s’agit ici d’examiner surtout ses conséquences au niveau des politiques publiques menées par les Etats fédéraux et, tout particulièrement, par ceux qui continuent d’entretenir, sur papier glacé, le rêve américain. Ce qui se passe en Californie, en Floride et ailleurs montre l’impasse dans laquelle se trouve le capitalisme. Malgré les avertissements lancés par des experts acquis à la nécessaire pérennité du système et l’invocation d’un possible krach plus dévastateur, banquiers, spéculateurs et capitalistes semblent vouloir ne rien entendre. Après avoir psalmodié sur l’air de la nécessaire régulation, ils entonnent désormais le refrain usé de la croissance qui repart comme pour se rassurer tout en maintenant quelques notes alarmistes. Malgré quelques soubresauts, malgré la précarisation qui se généralise notamment en Europe, la résignation, au bord du gouffre, l’emporte … jusqu’à quand ?
La Californie, le règne de Terminator
C’est l’Etat le plus peuplé des Etats-Unis1, celui considéré comme le plus riche, celui que les médias invoquaient comme lieu de la puissance, du progrès et de la jouissance. Les villes, d’Hollywood à Los Angeles ou Santa Barbara, font toujours fantasmer les midinettes. S’il était indépendant, de par son PIB, il serait la 8ème puissance mondiale. Mais depuis, la crise a atteint ce paradis frelaté qui se pose une seule question : comment échapper à la faillite ?
Ce n’est pas tant le taux de chômage (11,6 %)2 qui inquiète Schwarzenegger, le gouverneur de cet Etat, que le déficit abyssal de son budget, qui atteint 46 milliards de dollars. Le 17 mai dernier, il a organisé un référendum pour s’en sortir en proposant d’augmenter les impôts. La réponse négative fut à la hauteur de l’individualisme que l’on a inculqué depuis des années aux Nord-américains. Alors en Terminator, il procède à des coupes sombres : 15,5 milliards d’économies et quelques recettes qui ne sont pas de nature à rassurer, d’autant qu’elles sont insuffisantes.
Classique, la vente d’actifs immobiliers, tels le champ de courses de Los Angeles et la fameuse prison de San Quentin estimée à 1 milliard de dollars, pourvu qu’elle trouve preneur. S’attaquer aux fonctionnaires aussi. Leurs salaires ont été amputés de 15 %, des « économies » ont été faites dans le budget Education (- 9 milliards) et les crédits Santé pour les démunis rognés à hauteur de 1,3 milliards. Passons sur la suppression de nombreux programmes éducatifs, mais la fermeture de tribunaux décidée le 15 juillet, il fallait oser ! Depuis leurs portes seront closes le 3ème mercredi de chaque mois et 93 % des 5 560 juges contraints de prendre une journée sans solde. Pour répondre aux urgences, 45 tribunaux resteront néanmoins ouverts. Quant au salaire horaire des travailleurs sociaux, il diminue de 11 à 9,50 dollars soit une baisse de 13,7 %. Il est envisagé de licencier 27 000 enseignants et l’université privée de Californie suit : son conseil d’administration a adopté un plan de congé sans solde affectant 140 000 administrateurs et professeurs avec réduction de salaire de 4 à 10 %. Schwarzy a dans sa panoplie quelques recettes qui ne sont que des expédients : des factures non réglées, les fournisseurs se contentant d’émissions de reconnaissance de dettes ; il prétend légaliser la vente de marijuana et imposer une taxe qui rapporterait 1,3 milliard par an. Il a voulu promouvoir la libération anticipée de 27 000 prisonniers, son projet a été retoqué. Schwarzy avait pourtant fait valoir qu’une telle mesure libérale aurait permis d’économiser 1 milliard de dollars !
Au pays du soleil, rien ne va plus
Mais il n’y a pas que la Californie où les illusions s’effondrent. Dans l’Etat de Washington, à Seattle, la ville de Microsoft, la ville la plus éduquée où 51,6 % des actifs sont des diplômés universitaires où les revenus étaient supérieurs de 35 % à la moyenne états-unienne, les charrettes de licenciements sont emblématiques de l’utopie US qu’elle a voulu répandre dans les pays occidentaux : celle de l’économie de la connaissance et de l’innovation. Le géant du logiciel a licencié 5 000 employés dont la moitié à son siège. Bill Gates, l’icône de la nouvelle Amérique ne fait guère mieux que les géants de l’industrie automobile, en voulant réduire de 15 % ses coûts de sous-traitance. Boeing, ce géant de l’aéronautique, a supprimé 10 000 emplois. Quant à certains fonds spéculatifs, ils se sont effondrés comme WAMLI, où ses commerciaux touchaient chacun jusqu’à 10 000 dollars par emprunt placé. Cet organisme qui s’était lancé à corps perdu dans les prêts subprimes a dû, du jour au lendemain, rayer 4 000 emplois. A Seattle aussi, comme en Californie, les mêmes recettes … sont employées : la municipalité a supprimé 500 emplois et réduit son budget de 125 millions de dollars. On pourrait espérer qu’au pays du soleil et du tourisme, il en va différemment. Même le pays de cartes postales des plages de Palm Beach et de Miami ne peuvent plus faire rêver que les 1 % d’Américains qui, à eux seuls, concentrent une fortune équivalant à 95 % de la population des USA.
Le soleil noir de la Floride3
Cet Etat n’est pas seulement celui du tourisme, du divertissement (Disneyworld), celui de la base spatiale Canaveral ou de l’industrie électronique, ce fut aussi celui du boom spéculatif des années 2000. En 2009, 20 % des habitations construites sont inhabitées. Quant à ceux qui ont pu occuper leur logement mais qui sont endettés, insolvables, les banques s’obstinent à les déloger. 549 000 saisies immobilières ont été effectuées, rien qu’en 2008. La Floride est en fait le 2ème Etat, après la Californie, le plus touché par la crise, le taux de chômage officiel est de 12 %. Seule la police est débordée de travail ! A Lahiqh Acres, dans cette ville qui s’étend sur un territoire 4 fois plus grand que Manhattan, 1 500 maisons dispersées sont vacantes. La municipalité en a fait murer une centaine mais le reste, squatté, donne du fil à retordre aux flics. Ils ont quand même réussi, rien que l’année dernière, à saisir 3 000 plants de cannabis correspondant à une valeur marchande de 7 millions de dollars. De manière artisanale encore, le business de la drogue bat son plein. Un jeune producteur interviewé par Olivier Cyran4 avoue sans complexe : « Pour préparer l’avenir, j’avais le choix entre l’armée et l’herbe, j’ai choisi l’herbe » cultivée dans ces maisons vacantes qui ont perdu 70 % de leur valeur.
D’autres, comme à Miami, sans abri, se retrouvent dans un centre d’hébergement saturé, de 400 pensionnaires et dorment en enfilade dans des dortoirs de 80 places chacun. Mais l’esprit yankee demeure. Ils sont réveillés à 6 heures du matin, au son du clairon. C’est aussi une sordide chevauchée fantastique pour les 50 000 enfants sans abri, pour les SDF qui dorment dans leur voiture quand elle n’a pas été saisie. Car les propriétaires, des banquiers le plus souvent, sont impitoyables : 549 414 saisies en 2008 dont 56 477 rien qu’à Miami, soit, en mai 2009, la progression se poursuivant, une maison sur 158. Mais ce n’est pas la famine : l’aide alimentaire a été distribuée, en février 2009 à 1,8 millions de personnes, soit à plus d’un habitant sur 10. On peut encore rêver !
Les tours opérateurs pourront toujours proposer à quelques riches touristes compatissants, en mal d’exotisme, de bienfaisance, un séjour sur les longues plages de sable fin agrémenté de la visite des interminables banlieues sinistrées. Pour soigner leur mal être, à des prix défiant toute concurrence, ils iront se procurer quelques pétards de contrebande.
Mais les médias se veulent désormais rassurants : la crise c’est fini, la croissance va repartir. En fait, pour sûr, les travailleurs vont en payer le prix, d’autant qu’une nouvelle bulle financière risque de faire déchanter très vite les apologistes du marché et les partisans de mesures cosmétiques.
L’affreuse mondialisation est pour demain
L’Empire US aux abois tente d’assurer son hégémonie par la puissance militaire et la guerre ; de plus en plus décrié, il se devait de changer de look. Et Obama est venu comme une nécessité bien ordonnée. Ce n’est pas pour rien que les banquiers et les grosses entreprises ont financé sa campagne électorale, pas pour rien que la Goldman Sachs lui a versé 1 million de dollars. Excusez du peu, encore que, la promotion médiatique mondiale du personnage a de quoi faire rêver les stars d’Hollywood ! Mais, mises à part l’orchestration de sa rhétorique et la filmographie de ses déplacements, pour ceux qui attendaient des solutions « humaines » les résultats sont de véritables peaux de chagrin. La « régulation » financière est nulle, les paradis fiscaux toujours là, même si certains d’entre eux se sont engagés à procurer aux Etats et, sur demande expresse, les noms de quelques tricheurs du fisc. Le « ravaudage » du système de santé US se heurte au blocage des lobbies qui crient à la « concurrence déloyale » face à un timide projet de sécurité sociale, et la guerre en Afghanistan et maintenant au Pakistan s’est amplifiée. Quant à la Paix en Palestine … Israël y pourvoit à sa manière : la colonisation continue.
En revanche, sans l’ombre d’un doute, les banquiers sont renfloués avec l’argent des contribuables, les dettes d’Etat s’envolent pour les plus grands bénéfices de ceux qui ont souscrit des emprunts d’Etat. Les actionnaires sont aux anges, la spéculation bat de nouveau son plein, c’est la reprise, la « croissance » : par rapport à ses points les plus bas, Wall Street a connu une hausse de 35 %, à Paris le CAC 40 a bondi de 33 %, Tokyo de 41 % et Londres de 59 % (chiffres de fin juillet !). Et les banques recrutent de nouveau des traders à prix d’or en leur faisant miroiter des bonus « exubérants » … jusqu’à la prochaine bulle financière.
Et l’économiste Patrick Artus5 de s’affoler, face à une telle irrationalité : « Dans 3 ou 4 ans, la dette des pays de l’OCDE va dépasser leur PIB. Résultat : il va falloir diminuer la protection sociale, le nombre des fonctionnaires et augmenter les impôts » et encore « les emplois perdus le seront de façon irréversible. On fabriquera moins de voitures et moins de biens durables. Où seront créés les emplois de demain ? On ne sait pas ».
Nous annoncer que le pire est à venir ne doit pas faire oublier que « l’horreur économique » est déjà là, non seulement dans les pays du Sud6 mais aussi en Europe où elle a eu des effets délétères, notamment parmi les jeunes. Au 25 juillet, le Monde rapporte que l’on y dénombrait 5 millions de chômeurs parmi les 15-24 ans, soit un taux de 18,3 % en moyenne. Mais des pays sont plus touchés que d’autres : en Lettonie 28,2 %, en Estonie 24.1 %, en Lituanie 23.6 % mais aussi en France 22.3 %, et en Espagne 33.6 %. Dans le même temps, la précarité se développe avec les licenciements ou le non –remplacement des fonctionnaires prenant leur retraite. Si la prime à la casse dans le secteur automobile ainsi que les mesures de chômage partiel ont pu momentanément amortir le choc, cette relance-anticipation d’achats avec effet d’aubaine va vite se tarir. La relance financière et l’endettement des Etats vont avoir pour effets l’accélération des « restructurations » du capital vers les secteurs et les pays les plus rentables, et l’accroissement d’une guerre commerciale et économique dont on a encore du mal à envisager les conséquences.
Les Etats-Unis, en organisant la baisse du dollar, espèrent reconquérir des marchés, ce qui aurait pour effet d’exporter leur crise tout particulièrement en Europe. La Chine et les pays du Moyen Orient qui ont accumulé des montagnes de dollars ne peuvent sans réagir voir fondre comme neige au soleil la valeur de leurs capitaux fictifs, ceux précisément qui furent acquis notamment sur l’endettement des ménages états-uniens. Pour faire fondre la dette des Etas, certains économistes suggèrent de recourir à l’inflation, bête noire des rentiers du capital, ce qui fit dire à Christine Lagarde, dans un éclair de lucidité, qu’il était « impossible de les désintoxiquer ». Elle parlait du cynisme et de l’arrogance des rentiers de la finance tout en nous assurant avec son maître Sarko qu’ils allaient « moraliser » le capitalisme.
Cette rengaine a fait long feu, tout comme celle vantant hier les bienfaits de la « main invisible » des marchés et de la concurrence. Il n’empêche, les drogués du néo-libéralisme continuent de sévir en démantelant les services publics pour leur offrir demain les secteurs les plus rentables, comme à la Poste où les prédateurs pourront espérer faire fructifier leurs actions. Que pour les besoins de leur propre cause, les prédateurs et leurs gourous politiciens se repeignent en vert ou en rose, qu’ils recourent pour y parvenir à un marketing électoral et à la mise en scène d’un sauveur (Obama, Sarko, Merkel, Berlusconi …), leurs mascarades et leurs gesticulations ne peuvent continuer à persuader que des salariés confinés dans leur résignation. Seule la force unie des travailleurs peut limiter la toute puissance du capital pour autant qu’ils se convainquent qu’ils sont porteurs par eux-mêmes de l’alternative à ce système et balaient sur leur route tous les faux prophètes qui prétendent parler en leur nom en investissant l’Etat capitaliste pour que rien ne change.
Gérard Deneux le 21.10.2009
Programme 2009
Il y a 15 ans
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