lundi 1 mars 2010

Le retour masqué du plombier polonais

Qui ne se souvient de la polémique et de la mobilisation déclenchées par la directive Bolkestein et de son plombier polonais ? En 2003, en effet, dans le cadre de cette volonté de l’Union européenne du libre échange, il avait été question de nous imposer un marché unique des services. Le commissaire européen de l’époque célébrait les louanges de la « concurrence libre et non faussée ». De sa voix de fausset, il tentait de nous vendre les bienfaits économiques des principes de la « législation des pays d’origine ». Quelle aubaine ! Le plombier polonais aurait pu venir travailler en France au tarif de son pays, suivant sa législation sociale. Il s’agissait de fait d’aligner par le bas salaires directs et indirects, le consommateur et les entreprises ne pouvant qu’approuver la bienfaisance d’une telle mesure. Etaient concernés, notamment, les sociétés d’intérim, les secteurs liés à la santé et les services « dits » publics. La force de travail, cette marchandise, dans le cadre de la libre circulation dans l’Union ne devait plus rencontrer d’obstacles « archaïques » que sont les droits du travail et les législations nationales plus avantageuses.

On se souvient du tollé provoqué. Néo et socio-libéraux ont dû faire marche arrière face aux manifestations de février 2006 suite à la mobilisation contre le TCE1. En fait, le rapport de forces sociales et politiques n’ayant pas évolué véritablement en faveur des salariés, ce ne fut, de leur part qu’un repli tactique. Il s’agissait dès lors, pour eux, d’adopter une gestion intelligente et prudente. Et ce fut fait dans un silence assourdissant. On en a aujourd’hui quelques échos.

Le plombier métamorphosé en renard

Il faut dire que ce fut fait avec une talentueuse rouerie : le Parlement européen sous pression populaire fit mine de découvrir les méfaits de la directive Bolkestein, s’insurgea contre le dumping social qu’elle osait mettre en œuvre mais … ne consentit pas à remplacer le principe du pays d’origine par celui du pays destinataire. Il laissa le soin à la Cour de Justice européenne, acquise à la libre concurrence, de régler les litiges en faveur des employeurs n’ayant aucun scrupule à recourir à la marchandise humaine la moins onéreuse sur le marché du travail. Pour être exact, il convient de signaler néanmoins que les parlementaires européens avaient malencontreusement ( !) exclu certains secteurs du champ d’application de cette directive, faisant valoir le fameux principe du pays d’origine.

Qu’à cela ne tienne ! Nos talentueux ( !) gouvernants allaient y remédier par un tour de passe-passe en laissant le temps au temps, avec la constance libérale qui les caractérise. Le 24 juillet 2006, en catimini, le Conseil des ministres européens adoptait une version modifiée du texte approuvé par le Parlement européen. Ce nouveau texte refusait de définir ce que pouvait signifier les obligations de service public et réintroduisait certains services exclus dans son nouveau projet, comme ceux liés à l’éducation, la culture, les services sociaux, l’eau, les transports, les services postaux, l’électricité, le traitement des déchets. Quant au principe du pays d’origine qui avait provoqué maintes clameurs, il fut habillé sous les oripeaux de la « liberté des parties contractantes », de la « libre prestation de services », laissant la liberté aux seuls employeurs des différents pays de choisir la loi applicable donc … la plus avantageuse pour eux.

Le plombier polonais s’est métamorphosé en renard libre dans le poulailler des salariés à plumer. Depuis, la Commission s’est saisie des orientations du Conseil des ministres et la nouvelle directive Mc Greevy a été adoptée sans vague par le Parlement européen. Droite néo et Gauche socio-libérale, en chœur, ne souhaitent pas que ressurgissent les affres d’une controverse autour de cette directive, les médias taiseux non plus, d’autant qu’accord a été donné pour laisser 3 ans aux différents gouvernements européens pour transposer cette directive. Trois ans. Nous y sommes !

Bizet à Sarko. Il faut ménager le populo.

Pour transposer cette directive Mc Greevy, Sarko, en bon gardien du sérail de la pensée unique, a commandé un rapport au sagace sénateur Bizet. Quelques fuites malencontreuses nous permettent d’avoir accès à sa prose, comme aux recommandations qu’il destine à son maître : il ne se contente pas de reprendre l’argumentation juridique de la Commission européenne s’appuyant sur les articles 43 et 49 du Traité de Lisbonne ayant succédé au TCE pour faire valoir que le principe de libre concurrence reste intangible. Il souligne pour ceux qui ne veulent rien entendre que « les exemptions prévues par la directive Mc Greevy ne sont que provisoires » et révisables tous les 3 ans donc à partir de 2010 … en particulier les services sociaux d’intérêt général qui, dans son langage, sont des SIEG – Services d’Intérêt Economique Général. Sont concernés les secteurs de la petite enfance, l’aide familiale, le médico-social, les services à la personne2, bref, l’ensemble des services déjà privatisés puisque confiés à des associations par les bons soins des néo et socio-libéraux. Il restera à ces secteurs de tenter de répondre aux appels d’offres, tout en ne pouvant plus prétendre aux subventions de l’Etat ou des collectivités locales, car ce serait les faire bénéficier d’un avantage indu … faussant la libre concurrence. Mais, notre homme n’en reste pas là. Il conseille d’abandonner l’idée de loi-cadre, d’agir en douce, surtout après les élections régionales, et ce pour « des considérations politiques tenant à la forte sensibilité (sic) des implications » en particulier « sur les professions réglementées » (celles, par exemple, qui possèdent un statut, des conventions collectives avantageuses ?). Car, voyez-vous, quelques remous à l’Assemblée pourraient produire d’intempestives vagues dans les rues ou pour le dire à la manière de Bizet : cette transposition « pourrait servir d’épouvantail ». « Elle ne doit pas constituer un prétexte à la cristallisation des mécontentements de tous ordres, d’autant plus nombreux en période de crise ». Bref, Bizet ne veut pas que l’on chante la Carmagnole, son opéra-tion ne vaut pas celle de son illustre prédécesseur3 ; ce n’est ni Carmen, ni l’Arlésienne. Nous ne danserons pas sur ces airs là, ceux que l’ex-présidence suédoise de l’Union européenne déclamait dernièrement pour mettre en musique la directive Mc Greevy : « Elle vise à permettre à l’Europe de sortir le plus rapidement de la crise économique ». Vis-à-vis de l’oligarchie régnante, nous préférerons toujours les accents de la Carmagnole.

Gérard Deneux

Sources : le Grand Soir. JJ Chavigné

Le Monde du 11.01.2010

Lignes d’ATTAC n° 79 – janvier 2010

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