En parcourant la presse1 depuis le mois de mai 2009, nombre de faits et chiffres peuvent être collationnés qui révèlent, au-delà de la bien-pensance libérale, la réalité du cauchemar états-unien. Les rutilantes images télévisuelles de l’Amérique sont l’arbre qui cache la forêt de l’extrême fragilité de cette société, y compris en Californie et en Floride, Etats fédéraux réputés les plus riches de l’Empire. Malgré des inégalités vertigineuses, les dominants, le capital financier prospèrent dans la crise car, pour eux, « la propriété c’est le vol » non pas dans le sens où l’entendait Proudhon, mais dans celui de la ponction financière étendue à l’ensemble du monde. Le sens commun incite à penser que ce qui vient d’Outre Atlantique met plusieurs mois à traverser l’océan…
Au-delà de la crise financière, l’horreur sociale globale
Le plan de relance d’Obama, les 787 milliards de dollars infectés ont, pour l’essentiel, servi à sauver les banques qui sont, de fait, des plus réticentes à financer l’économie dite réelle. Elles se reconstituent leurs marges pharaoniques en se nourrissant des émissions de dettes des entreprises et en spéculant sur les marchés, ce qui leur a valu une condamnation … sans effet, d’Obama, stigmatisant « la cupidité généralisée ». Les médias nous ont montré que la pointe émergée de l’iceberg, ces quelques traders éjectés de Wall Street, ignorant la masse de 242 000 salariés du secteur financier depuis le début 2008. De fait, la réalité du peuple états-unien est toute autre si l’on examine les chiffres du chômage, de la précarité, de la santé et même de la pauvreté qui gangrène cette société que surplombe une minorité de milliardaires.
Puisque la crise a commencé par l’effondrement des subprimes, par cet endettement massif d’insolvables qui avaient rêvé de devenir propriétaires de leur habitation, évoquons d’abord cette situation de crise du logement : le nombre de saisies immobilières atteint le chiffre de 2,3 millions, 15,2 millions d’emprunteurs immobiliers doivent désormais plus d’argent que n’en vaut leur habitation et 13 % d’entre eux, insolvables, sont expulsés ou en voie de l’être. C’est que le marché s’est dramatiquement contracté : le recul des prix est de 48 % à Miami, il atteint 50 % à Los Angeles. Si les transactions reprennent c’est que nombre d’aigrefins en profitent pour faire de bonnes affaires dans un proche avenir, car l’on compte 700 000 habitations vides, excédentaires et correspondant au boom immobilier qui avant la crise n’avaient pas trouvé preneur, ce qui équivaut à un an de production de logements.
A cette situation dramatique est venue s’ajouter les licenciements massifs. En 18 mois, le chômage a augmenté de 92 % pour atteindre un taux de 9,5 % des actifs en juin, les 10 % pourraient être dépassés enfin d’année. De décembre 2007 à juin 2009, 6,5 millions d’emplois ont été supprimés. Ces chiffres sous estiment d’ailleurs la réalité. Ils ne prennent pas en compte le chômage technique imposé, ni les temps partiels contraints (16,4 % des actifs) et encore moins le fait qu’au bout de 7 mois de chômage, les indemnités cessent et que les chômeurs disparaissent des statistiques. Certes, de 690 000 chômeurs de plus chaque mois, de janvier à mars, le chiffre aurait baissé à 345 000 mais la purge continue et les patrons n’embauchent plus. Pour ne prendre qu’un exemple emblématique, celui de Général Motors, c’est la moitié des 605 000 salariés qui a été licenciée, les 50 milliards de dollars d’aide de l’Etat n’ont servi, bien évidemment, qu’à rembourser les créanciers et les actionnaires. Pensez donc ! Les actions GM de ces malheureux propriétaires valant encore 17 dollars chacune en avril 2008 ne représentaient plus que 0.75 dollars au 25 mai 2009 ! Ce n’est pas eux qui doivent payer la crise ! Nouveauté dont on parle peu, c’est la baisse non négligeable des salaires, de – 6 à – 20 %. Un quart des salariés seraient touchés. C’est ainsi que pour augmenter sa « profitabilité » Hellwet Packard a rogné 13,5 % de sa masse salariale.
En matière de santé Obama serait le symbole du renouveau ! Quoique ! Les compagnies d’assurances déversent des millions de dollars pour bloquer son projet déjà bien mal en point et alimenter une campagne réactionnaire contre son « communisme étatique » d’assistance publique. Et pourtant les chiffres parlent d’eux-mêmes : seuls 58 % des Etats-uniens ont une assurance Santé qui leur coûte la peau des fesses quand ils sont remboursés des frais médicaux engagés2 ; près de 50 millions n’ont aucune couverture soit 16,5 % de la population. Avec les licenciements massifs, l’impossibilité de continuer à payer leur assurance, 2,4 millions de travailleurs ont perdu leur couverture santé3. Il existe bien une assurance publique, Medicare, mais elle est réservée aux très faibles revenus, aux handicapés, aux ex-combattants ; il s n’ont droit qu’à des soins réduits, à la chaîne et ce système est lui-même à bout de souffle (2 000 milliards de dettes).
Dans leur grande masse, après avoir vécu à crédit, les Américains se découvrent pauvres. On les a incités à collectionner jusqu’au vertige les cartes de crédits ; leurs engagements financiers, en moyenne et par ménage, représentent 140 % de leurs revenus ce qui équivaut globalement 1 914 milliards de dettes, soit 8 329 dollars par foyer. Ces moyennes ne disent rien du chaos des existences délabrées dans les quartiers déshérités où croupissent en majorité les Noirs et les Hispaniques d’origine, ni de leurs conditions d’hygiène et d’alimentation déplorables. Dans son enquête la journaliste Corinne Lesnes rapporte dans le Monde4 que 12,5 millions d’enfants s’ont pas assez à manger et que 30 millions de bons d’alimentation sont distribués chaque mois. Paradoxe : dans cet univers impitoyable une seule catégorie trouve du travail, des petits boulots, c’est celle des plus de 55 ans qui ont vu leur épargne retraite s’effondrer et leurs quelques économies s’effilocher. Mais pour les dominants c’est plutôt le « Vive la crise » qui domine.
Rêver sur la détresse du plus grand nombre
Les USA ce n’est pas seulement un déficit public de 1 000 milliards de dollars qui atteindrait 1 800 en fin d’année, ni celui d’un déficit public-privé cumulé qui culminerait à 3 000 milliards de dollars au cours des deux prochaines années, c’est aussi pour les créanciers qui en profitent à un taux d’intérêt de 3,4 % sur 10 ans pour les emprunts d’Etat, l’assurance tous risques que leurs rentes vont fructifier, du moins en sont-ils convaincus. Banquiers, spéculateurs et autres traders assurés que l’Etat fédéral ne peut que les renflouer avec l’argent des contribuables, et ce, parce qu’ils sont trop gros pour sombrer, font preuve de leur esprit prédateur à toute épreuve. Les exemples abondent : la banque Goldmann Sachs qui en juillet a bénéficié de 3,4 milliards de dollars de fonds publics, en août provisionne 20 milliards de bonus. Il est vrai que son PdG a demandé à ses golden boys de faire « preuve de retenue », « afin qu’ils ne soient pas vus en train de mener grande vie » dans la misère ambiante. Comme dirait Michel Sapin, secrétaire à l’économie et à la fiscalité du parti Solférino « un trader comme un commerçant a besoin d’une rémunération variable, c’est son salaire, il ne faut pas tomber dans la folie anti-bonus ». Peu importe que ces 20 milliards équivalent à la somme d’ailleurs insuffisante allouée par le G8 à la lutte contre la faim dans le monde. De compassion point trop n’en faut !
En revanche, la gloutonnerie des prédateurs ne connaît pas d’indigestion : Citigroup qui a perçu 45 milliards de dollars de l’Etat fédéral, en dépit d’une perte de 18,7 milliards enregistrée sur l’exercice, n’a pas hésité à verser à ces 738 cadres les plus haut placés 1 million de dollars. Mieux ! Bank of América : sur les 45 milliards d’aide perçus, 3,3 milliards ont été aux dirigeants, 172 d’entre eux ont reçu 1 million de dollars. Encore plus fort : Merrill Lynch a distribué 3,2 milliards et 4 des plus hauts dirigeants ont perçu chacun 121 millions. Pour eux, le rêve américain est tangible, comme pour tous ceux qui spéculent de nouveau sur le pétrole. Plus de 25 milliards, au cours des 6 derniers mois, furent investis sur des contrats futurs, la spéculation est repartie comme avant, si bien qu’un trader de Citigroup, spécialisé dans les hydrocarbures devrait toucher le modique bonus de 100 millions de dollars5. Quant au PDG de la Morgan Stanley, lui, reste raisonnable … Après avoir réorganisé, licencié, il a maintenu son salaire à 800 000 dollars annuels tout en remotivant ses sbires. Son directeur financier (et d’autres) lui, a vu son salaire fixe augmenter de plus du double : 752 000 dollars, c’est quand même mieux que 323 000 surtout que son bonus, sa part variable, a connu également un bond appréciable de + 25 à 30 %. A ces gens-là, il convient de « maintenir », comme l’a déclaré ce PDG, « le goût du risque »6. Qu’importe la mise en péril du système ! Les 700 000 milliards de dollars de produits financiers dérivés sont de nouveau sensés rapporter des rentes faramineuses d’autant que des contrats d’assurances sont souscrits pour protéger ces « investisseurs » spéculatifs des risques de faillite et de défaut de paiement, au taux de 25 % au cours des 50 prochaines années ! Ce qui fait s’exclamer Daniel Cohen, l’économiste libéral hier, alarmiste aujourd’hui : « qu’aucune institution financière ne pourrait honorer de tels engagements en cas de défaut de paiement américain » et de nous promettre dans une telle hypothèse une inflation catastrophique et des faillites en Europe7. D’autres comme Yves Manon s’effarouchent de l’effondrement de la consommation états-unienne. Ce sont 700 milliards qui manquent désormais pour faire tourner les usines en Chine et en Inde et de nous certifier que si les biens de consommation importés aux USA se tarissent, c’en est fini de la croissance car aucun autre relais n’existe. Les G20 et autres G8 ont beau se succéder, la grande mascarade sur la moralisation du capitalisme n’a guère produit d’effets sur les drogués du néolibéralisme. Intoxiqués par leur avidité, leur soif de profits immédiats, agrippés à leurs sinécures, drapés dans l’apparence des bonnes manières, ils seront les premiers à s’insurger si l’on s’attaquait à leurs prébendes et à crier en chœur : c’est du communisme, on veut spolier la propriété. Quel journaliste d’investigation oserait braver la législation des îles Caïman ? Le secret bancaire y est bien gardé, la divulgation d’informations est un délit passible de 2 ans de prison. Avis aux amateurs ! La liste des paradis fiscaux a certes été blanchie, la Suisse a promis, d’autres se prétendent moins opaques mais les règles cyniques restent en place : rançonner les profits industriels et commerciaux. On ne change pas les mentalités des vautours ni des « barons voleurs »8. Leur seul Dieu, c’est le veau d’or, leur rêve de croissance c’est toujours exploiter davantage … jusqu’à la prochaine crise financière.
Pour les classes populaires, les conséquences en seront dramatiques. On en mesure déjà les effets en Floride et en Californie, les deux Etats les plus riches ( !) des Etats-Unis.
(suite au prochain numéro)
Gérard Deneux le 20.09.2009
Programme 2009
Il y a 15 ans
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